On ne peut pas dire que la démarche entreprise par Jean-Clément Martin n'est pas honnête, ni intéressante, ni clairement exposée, d'ailleurs à deux reprises, en début et en fin d'ouvrage : les sources concernant Robespierre ayant été déjà largement exploitées, il faut procéder différemment pour analyser la figure de Robespierre. Le point de départ pourrait être ce masque mortuaire, évoqué à la fin de l'ouvrage, soi-disant moulé par madame Tussaud : on ne sait que très peu, trop peu de Robespierre, et ce qui en est colporté aujourd'hui ne sont que des éléments repris à sa postérité, des rumeurs plus ou moins grossières portées par ses adversaires politiques, par ceux qui l'ont éliminé. C'est donc cela qu'il faut analyser, non pas un Robespierre monstrueux, bienfaiteur ou "Incorruptible" en soi, mais bien sa place dans une époque et dans un réseau politique.
Le projet est intéressant, mais soyons honnêtes : analyser le rôle d'un homme politique dans le cadre... d'une classe politique et de ses interactions ne casse pas non plus trois pattes à un canard, et on peut s'étonner que cette démarche n'ait pas été accomplie - ou du moins revendiquée ? - plus tôt.
Au départ, tout commence plutôt bien : l'auteur remet en perspective l'enfance de Robespierre, souvent employée de manière psychologisante afin de justifier une "monstruosité" intrinsèque par son statut d'orphelin (de mère, le père a juste fini par prendre la poudre d'escampette). Salutaire est le rappel que cette condition n'a rien d'extraordinaire à l'époque.
Cependant, plus on avance, et plus le contenu de l'ouvrage semble se vider. D'une démonstration solide et intéressante sur la dimension tout à fait ordinaire de la vie de Robespierre (son parcours scolaire, universitaire, auctorial, ainsi que son entrée en politique similaire à celle de nombreux jeunes hommes de son milieu social), on passe à un ouvrage qui se vide de sa substance.
De ce que j'ai compris de la position de l'auteur, Robespierre semble n'intervenir que très peu dans la vie politique, et son talent est d'être un orateur hors-pair, dont les discours sont une synthèse particulièrement talentueuse des idées qui traversent son temps.
Cependant, cette position laisse sans réponse des questions que l'on peut se poser :
- S'il n'est que le reflet de son temps, comment expliquer la radicalisation de ses positions, au point de se poser en minorité sur certaines de ses positions à l'Assemblée ?
- S'il n'est que cet orateur, comment expliquer l'influence qu'il acquiert ? Cela serait seulement dû à la qualité de sa parole ? A sa défense sans faille des valeurs humaines ?
Ce parti pris de l'auteur rend une image d'un Robespierre presque piégé, malgré lui, dans un jeu politique qui le dépasse, système qui se débarrasse de lui à partir du moment où sa vision de l'homme, un peu trop mystique et optimiste, serait dépassée. Il est honnête de montrer qu'au vu des bouleversements politiques de l'époque, chacun ne pouvait naviguer qu'à vue, et ne réagir que tant bien que mal aux divers événements qui nécessitaient souvent des réaction immédiates, parfois extrêmes. Robespierre ne faisait pas exception à la règle, et pour maintenir un semblant d'ordre, il fallait bien que les alliances se fassent et se défassent. Mais l'auteur semble parfois pousser bien loin la distance de Maximilien face à la gestion de la politique quotidienne, alors même qu'il avait certaines responsabilités, et un pouvoir au moins symbolique. Il est étonnant, pour un historien de la carrure de Jean-Clément Martin, de ne pas savoir - ou de taire ??- que dans un certain nombre de circonstances, le silence est aussi une prise de position.
C'est à la fin de l'ouvrage, que l'intention de l'auteur se révèle :
"En tuant Robespierre, Thermidor tourne la page de la mobilisation héroïque et de l'émotion considérée comme le lien essentiel d'une communauté, pour faire entrer le pays dans une politique désacralisée, consacrée aux progrès tangibles d'une économie. La Révolution peut entamer sa phase proprement "bourgeoise", si l'adjectif correspond à une situation marquée par le pragmatisme matériel, l'intérêt personnel et le souci des hiérarchies."
Plusieurs choses sont à noter, et à mettre en lien avec d'autres éléments du dernier chapitre (consacré à la "légende noire" de Robespierre).
Tout d'abord, et surtout, le positionnement idéologique de l'auteur : ces récurrences de l'évocation de la volonté de Robespierre d'élever l'âme des citoyens, de son attachement à de grands principes moraux, à la liberté, sont assez clairs. La "bourgeoisie" est déjà à l'oeuvre, avant même la mort de l'Incorruptible, et Jean-Clément Martin a lui aussi choisi son camp (ou, du moins, ne s'est pas extrait de son biais de classe d'universitaire parisien renommé) : quelles viles préoccupations que le matériel lorsque l'on peut se préoccuper de l'élévation du peuple ! Quelle figure sublime que ce Robespierre, qui s'est tant tenu à l'écart de la vie politique, et dont la puissance de la parole a réussi à tant agréger autour de lui ! Fantasme d'universitaire en vue...
Cet attachement à la figure de l'intellectuel à l'écart, volontairement à l'écart de la société, mais prêt à sacrifier sa personne pour l'amélioration de la condition humaine pose d'autres problèmes : à s'extasier ainsi, on occulte le vrai problème : le peuple n'a pas vraiment besoin de hautes considérations morales, il a besoin de conditions de vie décentes. Il a besoin que ses revendications, et pas seulement celles des hommes, soient entendues. Oublier cela, c'est manquer la raison même d'être d'une révolution.
Ainsi, l'auteur réussit à poser ce qu'est la Révolution, mais par son propre positionnement : il analyse en petit bourgeois une révolution bien souvent menée par ceux qui, à l'époque, étaient d'un milieu social comparable. On n'en apprend pas forcément plus sur Robespierre, mais on en apprend beaucoup sur la manière dont une figure historique sur laquelle les sources sont insuffisantes peut être récupérée à toutes les sauces, selon toutes sortes d'idéologies.