Jack est un petit garçon venant de fêter ses cinq ans. Son univers est réduit et se limite aux quatre murs de la chambre dans laquelle il vit avec sa mère. Quatre murs, une porte, une télévision et quelques menus objets qu’il a personnifié (Madame Table, Monsieur Tapis, Madame Lampe, Monsieur Plafond, Madame Lucarne, Petit Dressing…)
Avec ses mots et l’habitude des enfants de son âge de tout prendre au pied de la lettre, Jack nous décrit son quotidien. Dora l’exploratrice dont il suit les aventures à la télé, les haricots verts qu’il déteste, le long serpent fait de coquilles d’œufs qui vit sous Monsieur Lit, les jeux auxquels il joue avec sa mère…
Un quotidien somme toute normal et pas spécialement intéressant. Le lecteur baille et se demande où Emma Donoghue désire nous emmener. Car trente, quarante ou cinquante pages à ce rythme, c’est un peu longuet. Et j’ai même manqué d’abandonner ma lecture. Pourtant sur le net, de nombreux lecteurs incitaient à ne pas se laisser désarmer par ce début pour le moins déroutant.
L’auteur, par cette entrée en matière très originale nous a menti. Elle nous a obligés à tout considérer au premier degré comme le faisait Jack. Elle est parvenue à nous endormir, à émousser notre sagacité naturelle de lecteurs avertis. Mais à bien y regarder, les choses ne semblent pas si simples. Il y a un truc qui cloche. La mère paraît avoir énormément de temps à consacrer à son fils. C’est très bien évidemment, mais qui est-elle pour se permettre une telle disponibilité ? Et ce gosse, il ne va pas à l’école ? Comment expliquer le dénuement apparent dans lequel vivent Jack et sa mère ? Seulement deux petites assiettes, très peu de couverts… Ne peuvent-ils aller en acheter d’autres ? Sont-ils pauvres à ce point ? Difficilement imaginable : la solution doit être ailleurs.
Me voilà pris. L’ennui initial est envolé : il y a anguille sous roche.
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ATTENTION : ça spoile sévère dans la zone contenue entre les traits. A ne pas lire sous peine de perdre tout l'intérêt du livre et de la découverte.
Rapidement, la situation se clarifie. Jack et sa mère sont séquestrés dans cette petite chambre de trois mètres sur trois. Jack est né dans cette pièce et est persuadé que le monde se limite à cet univers confiné. Sa mère, pour le protéger, lui a fait croire que leur situation était normale et que la télé ne montrait que des choses qui n’existaient pas en vrai. Maman a été kidnappée sept ans plus tôt (à l’âge de 19 ans) et enfermée. Elle a reçu la visite régulière de Grand-Méchant-Nick, son ravisseur qui la ravitaille (au compte-goutte) et la saute (copieusement). Pourtant, Maman adore son fils et n’a jamais vu en lui le produit du viol.
Mais Jack grandit et pose de plus en plus de questions. Leur monde risque de se fendiller sous peu. Une situation que Maman ne pourra pas masquer éternellement. Elle est de plus en plus oppressée et ne pense plus qu’à s’évader. Acculée, elle ne peut faire autrement que de mettre son fils en scène et de placer tous ses espoirs sur ses frêles épaules : elle fait croire au ravisseur que l’enfant est mort. Elle l’enveloppe dans Monsieur Tapis pour que l’homme l’emporte hors de la chambre. Avec l’espoir que l’enfant parviendra à s’enfuir, à prévenir les secours et à les ramener jusqu’à leur prison pour la libérer. Evidemment, ce plan est atrocement bancal et fuit de partout. Mais ils n’en ont pas d’autre.
Pourtant tout marche comme prévu : mère et enfant sont rendus à la société.
Dans la seconde partie du livre, le lecteur assiste au retour à la vie des deux personnages principaux. Maman doit réapprendre la vie en communauté tandis que Jack doit accepter l’idée que le monde est infiniment plus vaste qu’il le croyait. Pour lui, tout est nouveau : le soleil, le ciel, la pluie, les arbres, les glaces à la crème, les toboggans, mamie, tonton… Complètement perdu, il regrette la sécurité de la chambre dans laquelle il avait sa mère pour lui seul. Apprendre à vivre en société, apprendre à ne plus être collé l’un à l’autre. Apprivoiser ses peurs et les dépasser. Et gérer l’incroyable célébrité qui leur est tombé dessus à la suite de leur évasion rocambolesque. L’Amérique est profondément émue par leur histoire : on veut les voir, les entendre, les toucher. Les paparazzis sont à l’affût…
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Un livre passionnant, difficile à poser. Emma Donoghue exploite de façon extraordinairement juste son personnage de cinq ans, ses réflexions d’enfant, ses visions du monde adulte qu’il ne comprend pas, ses découvertes progressives du monde, ses perceptions, sa construction psychologique. La relation mère-enfant est poignante, l’amour qui les lie l’un à l’autre, fusionnel. Un roman qui aurait pu être très sombre, glauque mais écrit finalement sans fausse note, sans bon sentiment ni once de pathos.
Un livre marquant que je n’oublierai probablement pas de sitôt !
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