Rue des voleurs
7.7
Rue des voleurs

livre de Mathias Enard (2012)

Lakhdar vit à Tanger. Il n’est plus adolescent, mais pas encore tout à fait adulte. Avec Bassam, son meilleur ami, il passe beaucoup de temps sur les hauteurs de la ville à contempler le détroit et l’Espagne, juste en face. Si proche et pourtant si loin, Inaccessible. Il rêve de liberté, de pouvoir faire ou simplement penser ce qu’il veut quand il veut. Il rêve d’échapper à cette société marocaine, contraignante, censurée, rigoriste sur laquelle pèsent les révolutions populaires qui enflamment le monde arabe en ce début d’année 2011. Une histoire personnelle dans l’Histoire avec un « H » majuscule.
Cultivé, avide de lecture, il aime reluquer les filles, « chasse » les étrangères venues faire du tourisme, se tape des bières avec son ami. Croyant mais pratiquant dilettante. Petit monde routinier qui vole en éclat lorsqu’il est surpris nu en compagnie de sa cousine Meryem. Il est violemment battu par son père avant de s’enfuir de chez lui pour ne jamais y revenir. Meryem, elle, est éloignée, envoyée chez une tante loin dans le sud. Lakhdar va alors connaître la vie chaotique des sans abris avant de trouver refuge auprès d’un groupuscule islamiste et de l’énigmatique Cheikh Nouredine. Le jeune homme se reconstruit et en passionné de lecture tient la librairie de la confrérie. Mais son ami Bassam change et devient dévot, lui qui ne priait que rarement. Une nuit, Lakhdar est entrainé par son ami et, guidé par le Cheikh Nouredine, participe contre son gré à la bastonnade d’un libraire porté sur l’alcool et les revues érotiques. La cassure est consommée.
Alors que ses amis islamistes se sont évaporés dans la nature à l’heure de l’attentat meurtrier de Marrakech (y ont-ils participés ?), il change à nouveau de vie et tente de survivre en recopiant sur son ordinateur des classiques de la littérature européenne et des fiches de décès datant de la Grande Guerre pour le compte d’un français rencontré par hasard. Il s’éprend également de Judith, une jeune espagnole de Barcelone qu’il rêve de rejoindre. Car ses rêves de liberté n’ont pas faiblis, il parvient à se faire embaucher par la compagnie de ferrys reliant Tanger à Algésiras. Mais alors qu’il débarque pour la première fois sur le sol européen, il réalise que même de si près, il demeure toujours aussi éloigné de l’Espagne. Et de Judith. Après maints rebondissements, il finit toutefois par atteindre en clandestin la capitale catalane et trouve refuge rue des voleurs, une zone de non droit dans laquelle la police ne pénètre pas.
Un livre d’une rare puissance, mené tambour battant et sans temps mort. Une écriture magnifique au ton faussement badin. Le personnage de Lakhdar est d’une grande justesse, évoluant sur le fil du rasoir tout au long du récit et au milieu de seconds rôles eux aussi criant de vérité. Il se débat dans un monde en pleine mutation, évite les bombes, louvoie dans une actualité tourmentée sur fond de crise généralisée. Ses errances entre le Maroc et l’Espagne, ses hésitations – poursuivre en avant ou revenir en arrière –, ses doutes puis ses certitudes quant aux nouvelles activités de son ami Bassam, ses joies, ses peines, ses dilemmes… Un personnage fouillé, attachant qui marche sur les traces de Ibn Batouta, véritable fil conducteur qui accompagne le lecteur émerveillé de la première à la dernière ligne.
Un grand moment de lecture.
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le 24 oct. 2012

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