Rue des voleurs
7.7
Rue des voleurs

livre de Mathias Enard (2012)

« Rue des Voleurs » est le parcours de Lakhdar, un marocain d'à peine vingt ans, et de son meilleur ami Bassam, jeune capté par un groupuscule islamiste mais qui reste fasciné par les seins des filles.

Lakhdar, chassé par ses parents pour avoir couché avec sa cousine, se retrouve sur un chemin qui va le mener des quartiers modestes et de la zone franche de Tanger jusqu'à la Barcelone des immigrants, des junkies et des prostituées de la rue des Voleurs. Son goût des livres, en particulier des romans noirs – Manchette, Izzo... - achetés chez un bouquiniste de Tanger, a façonné son identité mélangée et les livres vont en grande partie mener son destin, le poussant à chaque fois dans des nouvelles étapes par rencontres successives.

Autres cailloux blanc du roman, les récits de voyage d'Ibn Batouta, voyageur-pèlerin du XIIIème siècle originaire de Tanger, et l'histoire de Casanova soulignent que Rue des Voleurs est un roman d'aventure, même si Lakhdar a toujours le sentiment d'être en retrait de sa propre vie, de ne jamais être encore passé à l'acte.

Mathias Énard réussit l'exercice difficile de conserver la force de la fiction, tout en la greffant sur l'actualité récente, les révolutions arabes, la crise économique en Europe et la révolte des jeunes que celle-ci en Espagne, en écho au désir de liberté des jeunes de l'autre côté de la Méditerranée.

« Judit était observatrice et attentive ; nous avons parlé de Révolution, de Printemps arabe, d'espoir et de démocratie, et aussi de la crise en Espagne, où ça n'avait pas l'air d'être la joie – pas de travail, pas d'argent, des coups de matraque pour ceux qui avaient la prétention de s'indigner. L'indignation (dont j'avais vaguement entendu parler par Internet) me semblait un sentiment assez peu révolutionnaire, un truc de vieille dame propre surtout à vous attirer des gnons, un peu comme si un Gandhi sans projet ni détermination s'était un beau jour assis sur le trottoir parce qu'il était indigné par l'occupation britannique, outré. Ça aurait sans doute fait doucement rigoler les Anglais. Les Tunisiens s'étaient immolés par le feu, les Égyptiens s'étaient fait tirer dessus place Tahrir, et même s'il y avait de grandes chances que ça finisse dans les bras du cheikh Nouredine et de ses amis, ca faisait un peu rêver quand même. »

« Les villes s'apprivoisent, ou plutôt elles nous apprivoisent ; elles nous apprennent à bien nous tenir, elles nous font perdre, petit à petit, notre gangue d'étranger ; elles nous arrachent notre écorce de plouc, nous fondent en elles, nous modèlent à leur image – très vite, nous abandonnons notre démarche, nous ne regardons plus en l'air, nous n'hésitons plus en entrant dans une station de métro, nous avons le rythme adéquat, nous avançons à la bonne cadence, et qu'on soit marocain, pakistanais, anglais, allemand, français, andalou, catalan ou philippin, finalement Barcelone, Londres ou Paris nous dressent comme des chiens. »
MarianneL
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 oct. 2012

Critique lue 774 fois

5 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 774 fois

5

D'autres avis sur Rue des voleurs

Rue des voleurs
MarianneL
7

Critique de Rue des voleurs par MarianneL

« Rue des Voleurs » est le parcours de Lakhdar, un marocain d'à peine vingt ans, et de son meilleur ami Bassam, jeune capté par un groupuscule islamiste mais qui reste fasciné par les seins des...

le 20 oct. 2012

5 j'aime

Rue des voleurs
BibliOrnitho
9

Critique de Rue des voleurs par BibliOrnitho

Lakhdar vit à Tanger. Il n’est plus adolescent, mais pas encore tout à fait adulte. Avec Bassam, son meilleur ami, il passe beaucoup de temps sur les hauteurs de la ville à contempler le détroit et...

le 24 oct. 2012

5 j'aime

2

Rue des voleurs
Aptiguy
5

Etincelle manquante

J'avais découvert Mathias Enard avec Boussole, roman qui lui avait valu le prix Goncourt en 2015. Je n'avais ni détesté, ni franchement adoré, lisant ce livre avec certes beaucoup de respect pour le...

le 29 déc. 2017

2 j'aime

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4