Sacrifices
6.9
Sacrifices

livre de Pierre Lemaitre (2012)

Après l'excellent montage tordu et littéraire de Travail soigné, après le plus classique mais tout aussi tordu personnage d'Alex, voici le troisième volet des enquêtes du 'petit' commissaire Camille Verhoeven racontées par Pierre Lemaître : Sacrifices.
Encore une histoire qui place le lecteur dans une perspective qui n'est pas la bonne, ne lui laissant voir que ce qu'il veut bien voir pour lui faire la surprise de dévoiler le trompe-l’œil au moment opportun. On sait qu'on va se faire embobiner, on est content, on est venu justement pour ça.
On retrouve le personnage du 'petit' commissaire (un mètre quarante-cinq !), une très bonne trouvaille de Pierre Lemaître, au cœur toujours dévasté par ce qui est arrivé à sa femme dans Travail Soigné.
Camille Verhoeven semble avoir enfin retrouver le goût de vivre avec une nouvelle dame, Anne.
Mais Camille porte la poisse et la pauvre Anne va se faire gravement tabasser et salement amocher au cours d'un hold-up, elle y gagne bleus et contusions et y perd dents et côtes. Pas jolie.
Voilà de quoi mettre en rogne le petit commissaire qui franchit trop rapidement la ligne jaune, envoie promener sa hiérarchie et s'approprie une enquête qui ne devrait pas être la sienne : les chefs peuvent bien aller se faire voir et les méchants n'ont qu'à bien se planquer.
Mais on est chez Lemaître, maintenant on connait, et l'on sent bien qu'il y a quelque chose qui cloche quelque part.
Avec une première partie un peu longuette, l'auteur nous laisse même deviner assez vite quelle est la planche branlante, là devant nous. Poussé par l'urgence (l'horloge défile) on avance sans trop de précautions, on voit bien que ça craque un peu, on sent bien qu'on va se casser la figure en même temps que le commissaire, mais on ne sait ni comment ni quand ...

[…] Camille s’est un peu calmé, il a éteint et remisé le gyrophare. Il a beaucoup d’éléments à synthétiser et il est encore bombardé par les émotions, incapable de mettre de l’ordre… Depuis deux jours, il avance sur une planche instable, un ravin de chaque côté. Et Anne vient d’en creuser un autre, juste sous ses pieds. Alors qu’il est probablement en train de jouer sa carrière, que depuis deux jours la femme qui est dans sa vie est menacée d’être tuée à trois reprises, qu’il vient de découvrir qu’elle …

Et puis patatras, on a beau s'y attendre, on n'a pas vu le piège s'enclencher et nous voilà par terre, obligé de regarder tout cela avec une autre perspective. Autant dire qu'on dévore à vive allure la seconde partie du bouquin. En espérant que ses collègues vont couvrir notre commissaire …

[…] – Moi, ce que je veux savoir, c’est pourquoi tu fais, de cette enquête, une affaire personnelle !
– Je crois que c’est l’inverse, Jean. C’est une affaire personnelle qui est devenue une enquête. En disant cela, Camille comprend qu’il vient de toucher juste.

Bon, reconnaissons quand même qu'il s'agit là de l'épisode le moins bon de la trilogie, un épisode qui n'arrive pas au niveau des deux précédents qui avaient placé la barre très haut.
On sent que Pierre Lemaître a voulu se consacrer aux tourments de son personnage et fouiller plus loin dans les recoins de son esprit, quitte à sacrifier un peu les acolytes et collègues (on s'y était attaché ...), donner une brillante conclusion à sa trilogie et boucler la boucle, plutôt qu'à renouveler un exercice de style désormais connu.

[…] Il y passe son temps à dessiner, toujours de mémoire. Dans les piles de croquis, dans les centaines de carnets qui s’entassent dans le grand salon, on trouve les portraits de tous ceux qu’il a arrêtés, de tous les morts qu’il a vus et sur lesquels il a enquêté, des juges pour qui il a travaillé, des collègues qu’il a croisés, avec une prédilection marquée pour les témoins qu’il a interrogés, ces silhouettes arrivées et reparties, des passants traumatisés, hébétés, des spectateurs catégoriques, des femmes bousculées par les événements, des jeunes filles submergées par l’émotion, des hommes encore fébriles d’avoir frôlé la mort, ils sont quasiment tous là, deux mille croquis, trois mille peut-être, une gigantesque galerie de portraits sans équivalent : le quotidien d’un policier de la Criminelle, interprété par l’artiste qu’il n’est jamais devenu.

On pourra donc faire le sacrifice de ce bouquin, réservés aux fans de la série, qui nous servira juste à vous rappeler de ne surtout pas manquer l'un des deux épisodes précédents : Travail soigné (montage littéraire et tordu) et Alex (polar plus accessible mais tout aussi tordu).
BMR
9
Écrit par

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le 18 mars 2014

Critique lue 357 fois

Bruno Menetrier

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