La Sambre, une rivière franco-belge et affluent de la Meuse, donne son nom à une région industrielle du nord de la France, laquelle est notamment tristement célèbre pour avoir été le terrain de chasse d'un prédateur sexuel durant trois décennies.
On pourrait résumer l'affaire dite du "Violeur de la Sambre" par un portrait de Dino Scala. Pour Alice Géraud, il semblait plus juste, plus pertinent de dresser celui de ses victimes. La journaliste a donc pris le parti de n'accorder qu'une place très secondaire à l'auteur des agressions, mettant l'accent sur les femmes dont il a brisé la vie, de la fin des années 80 à 2018, date à laquelle cet ouvrier, mari et père de cinq enfants a finalement commis l'erreur qui lui vaut une peine de vingt ans de réclusion.
Le livre est donc composé d'une série de récits, précis et détaillés, qui dressent les contours de l'affaire. Tour à tour, les cas se succèdent et racontent la même histoire : au petit matin, sur les bords de la Sambre, un homme coiffé d'un bonnet, armé d'un couteau et d'un cordelette, surgit par derrière et commet l'irréparable avant de disparaître dans la nature. Encore et encore. Ces femmes et ces filles portent plainte mais l'individu reste introuvable. Il faut dire que dans les années 80, la technique policière n'est pas celle d'aujourd'hui. Rien ne permet donc de recouper ces agressions pourtant similaires. Quant aux fichiers ADN, ils n'ont pas encore fait leur apparition. Le temps passe, les agressions se multiplient, la science progresse, les cas finissent par être rapprochés et leur auteur finalement identifié, confondu, jugé, condamné.
Cette "radioscopie d'un fait divers" ne se contente ni de raconter une histoire, ni de cataloguer les victimes. Le document, qui peut dans un premier temps paraître factuel et redondant dans sa forme, dit surtout beaucoup de notre société, de la place qu'y occupent les femmes et du regard que la justice pose sur les victimes de violences sexuelles. À la lecture - ou ici à l'écoute - de cette énumération des cas, le lecteur - l'auditeur - comprend finalement l'importance de ce qui semble un matraquage nécessaire, lequel met en lumière les dysfonctionnements d'un système. En effet, la retranscription des dépôts de plainte est éloquente : les forces de police brillent par leur manque de sérieux et le scepticisme de certains enquêteurs est confondant. Quand ils ne mettent pas en doute la parole des plaignantes, ils les culpabilisent ou les ignorent. Isolées et peu informées, ces dernières se pensent seules. Elles sont pourtant plusieurs dizaines à être victimes du même homme. Malheureusement, elles sont également toutes négligées par cette justice lacunaire...
Avant de conclure son essai par un témoignage personnel poignant, même s'il apparaît finalement d'une horrible banalité, Alice Géraud livre quelques réflexions pleines de bon sens sur la peine réservée aux auteurs de crimes sexuels et invite à une remise en question du système. Jugez plutôt : en France, "l'auteur d'un viol encourt une peine pouvant aller jusqu'à 15 ans de réclusion criminelle. Cette peine peut être alourdie [de cinq ans supplémentaires] lorsque le viol a été commis avec des circonstances aggravantes" - d'où les vingt ans de réclusion de Dino Scala. C'est-à-dire que, tenez-vous bien, une fois qu'il a commis un viol, un criminel peut multiplier à l'infini le nombre de ses victimes sans risquer d'alourdir sa peine. Voilà qui mérite effectivement réflexion...
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