Faux sequel du diptyque De la Terre à la Lune - Autour de la Lune, Sans dessus dessous conte une expérience scientifique aussi gigantesque que révolutionnaire. Rien de nouveau pour Jules Verne ? Erreur ! 15 ans après cette aventure sélénite, Verne, témoin des errements qui peuvent corrompre les cerveaux les plus brillants a développé un rapport à la science plus ambivalent, faite d'admiration mais aussi d'ironie. Un avatar de cette nouvelle vision des Voyages Extraordinaires est Sans dessus dessous, jeu de massacre rigolard face à l'ego scientifique.
Nous retrouvons les obstinés du Gun-Club de Baltimore, qui cherchent cette fois à conquérir le Pôle Nord pour en extraire des gisements de houille. A cette fin, ils vont tenter une expérience dingo qui, si elle devait être couronnée de succès, aurait des conséquences planétaires fâcheuses... mais au Gun-Club, l'humain doit s'effacer devant les formules mathématiques. Est-il déjà trop tard pour stopper la folie de l'entreprise ?
Jules Verne fait feu de tout bois avec Sans dessus dessous. Tout le monde en prend pour son grade : les Yankees à indignation hypocrite variable, les puissances coloniales ne regardant que leur nombril (Tout raciste qu'il fut - dont une utilisation disons datée du mot "nègre" - Verne adopte une ferme position anticoloniale), des scientifiques si pénétrés de leur génie qu'ils en assèchent leur humanité, des diplomates empotés, des politiques avides ou cuistres... rien ne manque à l'appel, pas même une certaine critique d'un orgueil masculin qui équilibre le côté cruche de l'unique femme du récit. Si le roman a tendance à se répéter dans sa description d'une planète devenue bientôt antichambre du chaos, le sens de la formule, de l'antiphrase et de l'ironie cinglante assurent le divertissement.
De plus, Sans dessus dessous a l'obligeance de ne pas cacher une minceur narrative par des énormes digressions scientifiques qui rendaient parfois aussi aride que le sol lunaire le voyage sélénite ! Mieux géré dans ses autres romans, la teneur scientifique finissait par dévorer l'odyssée spatiale du Gun-Club. Rien de cela ici, où Verne laisse éclater l'absurdité de la tentative Babelienne de ses héros sans trop de circonvolutions. Si on connaît le talent de l'auteur pour les retournements finaux, on hurlera quand même de rire quand le twist final de Sans dessus dessous est révélé, consommant le ridicule humain dès lors qu'il s'attaque à plus grand que lui. Rétrospectivement, ce twist éclaire d'un jour nouveau l'échange sexiste initial, qui pourrait rebuter à raison les lecteurs d'aujourd'hui si on ne voyait pas qu'il était aussi satirique que le reste.
Mordante leçon d'humilité, pamphlet mutin des débordements de la science, Sans dessus dessous est la conclusion singulièrement acide du Baltimore Gun-Club, dont l'héroïsme grandiose a viré au complexe de Dieu. Plus court et réjouissant que le bien plus renommé diptyque lunaire. Encore aujourd'hui, il demeure un point de vue moderne sur la science, phare de l'humanité, mais dont les gardiens risquent l'aveuglement.