Style élégant et bien maîtrisé ; nombreuses références, souvent précises, à l'histoire de la philosophie, plus particulièrement grecque : voilà les qualités indéniables de cet ouvrage. Mais ses défauts découlent ici spécifiquement de ce qui aurait pu constituer des vertus : la qualité du style est l'occasion de toutes sortes de procédés rhétoriques masquant la faiblesse de l'argumentation ; les références à la tradition philosophique sont prises pour des preuves de la supériorité des raisonnements proposés.

Dans les sept textes (issus de conférences ou de contributions à différents ouvrages) ici proposés, Elisabeth de Fontenay se confronte à la difficile question de dégager, à la lumière des avancées scientifiques les plus récentes, une redéfinition du statut de l'animal qui ne revienne pas à l'exclure complètement du champ du droit, "sans offenser le genre humain" pour autant, comme l'annonce élégamment le titre.

Ainsi, l'auteur n'aura de cesse de vilipender contre ce qu'elle appelle "l'humanisme métaphysique", qui, d'Aristote à Levinas, n'aurait pas su reconnaître les diverses facultés du monde animal, mises en avant par le progrès scientifique, susceptibles d'en faire un objet pour la moralité.

Malgré tout, une telle abolition des frontières entre l'homme et les autres espèces est toujours, d'après l'auteur, suspecte, puisque susceptible d'être récupérée à l'encontre de certains humains eux-mêmes, désormais apparentés à de simples animaux.

Cette crainte se manifeste dans l'ouvrage de manière presque obsessionnelle, l'auteur mentionnant, presque à chaque page dans certains des essais, l'utilisation raciste qui a pu être faite de tel ou tel argument comme permettant d'invalider l'argument lui-même. L'auteur semble ainsi commettre, à de nombreuses reprises, cette erreur de raisonnement qui consiste à affirmer qu'un argument est faux si des conséquences morales choquantes peuvent à un degré ou à un autre en être tirées.

Cet appel au caractère choquant de tel ou tel argument devient franchement désagréable dans le troisième essai, "Entre les biens et les personnes", dans lequel il sert de technique pour invalider complètement les raisonnements des antispécistes P. Singer et P. Cavalieri, qui auraient tort d'analyser le statut des "humains fragiles" pour le comparer à celui des animaux :

"Pourquoi ? Comme ça, sans arguments, parce qu'il y a de l'impératif catégorique dans l'indéterminable élément où se meuvent les êtres humains que nous sommes, que c'est là notre culture, notre héritage, notre dette envers nos descendants." (p. 92)

Il est étrange de lire une philosophe écrire qu'on peut procéder "sans arguments" en philosophie. L'une des explications à ce phénomène est sans doute qu'elle considère qu'il ne convient pas de procéder par pur "logicisme" (comme les philosophes analytiques qu'elle décrie) mais par une étude de la tradition philosophique occidentale qui doit permettre son propre questionnement interne. Ainsi, la méconnaissance qu'auraient certains penseurs (Cavalieri) ou artistes (Eduardo Kac dans le sixième essai) du contenu précis de cette tradition devient une occasion d'invalider la totalité de leur réflexion.

Les qualités littéraires de l'auteur lui donnent le droit à plusieurs envolées lyriques dont il n'est pas toujours facile de dégager le contenu argumentatif. Ainsi, la critique de "l'art bio" est un véritable fourre-tout à tendance psychologisante dont la lecture ne permet pas de dégager le moindre argument précis. L'ouvrage comporte ce type de phrases, dont je doute que beaucoup de lecteurs aient compris la signification :

"L'expérience de l'infini, faite à partir de cas limites, la mort de l'Homme et celle du Progrès consenties, loin d'empêcher de s'engager éthiquement et politiquement dans la défense de ceux qui sont les plus vulnérables, en tant qu'individus, peuples ou collectivités, devient d'autant plus acceptable qu'est accompli le deuil de l'universalité abstraite et des fantasmes de fondement." (p. 111)

Pour finir sur les défauts de l'ouvrage, on notera, malgré un scepticisme annoncé quant à ce que les scientifiques prétendent tirer moralement de leurs propres théories, une forme de naïveté quant à la véritable portée critique des découvertes de la biologie sur la tradition philosophique : la découverte de la complexité du comportement animal n'implique en rien de leur reconnaître une intériorité ou des activités conscientes ou symboliques (au sens que ce mot a chez les humains), comme l'auteur semble le penser.

Là où l'ouvrage est le meilleur, c'est pour fournir des citations. Et les essais les plus intéressants sont ceux qui suivent la pensée d'un auteur, sans trop l'agrémenter des remarques d'Elisabeth de Fontenay. C'est par exemple le cas de la fin du deuxième essai "L'impropre" qui s'appuie sur Agamben, ou du cinquième essai "Ils dorment et nous veillons" qui constitue une bonne synthèse sur la vision qu'ont respectivement Aristote, Leibniz et Husserl, de l'expérience animale par rapport au vécu humain.

DAnselme
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le 20 août 2023

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