Le premier coup de génie de ce petit concentré de polar est de nous confronter à nos préjugés, en nous forçant à accepter qu'un type ressemblant à ça puisse écrire ce type de bouquin.
Le gars s'appelle Iglesias, est culturiste, dort quatre heures par nuit et gratte même de la guitare à ses moments perdus. Existe-t-il réellement ?
Comme toujours, le polar est génial si ce qu'il nous dit du monde et des ses habitants égarés est mille fois plus existant que la trame de son récit, forcément déjà entendue. Le livre, lu en moins de deux heures, raconte une histoire qui tient en 3 ou 4 jours, et dont les péripéties pourraient être résumées en 2 lignes.
Oui, mais voilà. A chaque page, on tombe sur des "J'ai imaginé l'âme de Nestor pénétrant dans le corps d'une mouche pour aller se poser sur l’œil vitreux d'Indio et chier dessus", des "la plupart des gens ne sont pas francs avec eux-même, alors comment peuvent-ils espérer l'être avec les autres?", ou des "vous êtes un aveugle sur un bateau sans capitaine au milieu d'un océan inconnu".
Ce sont trois exemples, presque pris au hasard. Du plaisir à pleine pages, presque à la ligne.
Une histoire simple mais chargée par des dieux inconnus et obscurs, sanglants et protecteurs, jetant de formidables ponts entre les cultures mexicaines et russes, africaines et américaines (comme cette mythologie Yoruba, arrivée avec l'esclavage et qui, mélangée avec la religion chrétienne, est apparemment très fréquente chez les trafiquants de drogue..).
Du destin, puisqu'il en faut, (dans le sillage d'Ogun le destructeur): j'ai étendu parler de ce livre lors d'une des rares minutes que je passe désormais au volant d'une voiture, François Busnel tressant une couronne (mortuaire) de louanges à l'ouvrage sur les ondes de France Inter, en invoquant notamment 4 ou 5 pages parmi les plus définitives sur le destin d'un migrant, de la déchirure que constitue le passage d'une frontière. Le démon aux grands yeux noirs avait raison.
Alors bien sûr, tomber et découvrir un tel ouvrage si peu remarqué procure une poussée supplémentaire d'adrénaline et de plaisir (presque comme de s'envoyer un rail de coke… Allez, encore une: "Sniffer de la came coupée par un dealer cupide est une chose, s’envoyer de la poudre pure dans le cerveau en est une autre – j’avais l’impression d’avoir plongé la tête dans l’eau froide puis de m’être fait des boucles d’oreilles avec des pinces crocodiles relié à une batterie de voiture.")
Vous y précipiter en attendant un chef-d’œuvre pourrait du coup être décevant. Mais ne pas tenter le diable serait la pire des choses à faire, et une profonde offense envers Santa Muerte, la dame blanche qui peut se montrer aussi protectrice que destructrice.
Ça serait trop de zlo. Vous n'avez pas envie de prendre ce risque.