Sapiens
7.7
Sapiens

livre de Yuval Noah Harari (2011)

Comment expliquer qu’Homo Sapiens ait réussi à s’imposer au détriment d’autres espèces humaines et à bénéficier jusqu’ aujourd’hui de la formidable expansion qu’on lui connait alors que Néandertaliens, Dénisoviens et autres hominidés ont subi une extinction plus ou moins rapide ? Dans un essai historique d’environ 500 pages, ce qui en définitive est assez peu au vu de l’ampleur de la période envisagée, Yuval Noah Harari entreprend de répondre à cette question de manière extrêmement bien documentée en même temps qu’accessible au plus grand nombre.


Il n’est pas dans mes intentions de présenter une synthèse détaillée de l’ouvrage. Précisons seulement que ce dernier s’articule autour de trois moments-clés de l’histoire de l’humanité. Tout d’abord, celui de la révolution cognitive, qui a permis à Sapiens, si on le compare à ses cousins hominidés, de véhiculer de plus grandes quantités d’informations, y compris sur des choses qui n’existent pas vraiment (idées, images ou fantasmes), permettant d’assembler et de structurer des groupes humains de plus en plus vastes. A compter de ce moment, l’évolution de Sapiens échappe au "tout biologique", la part du culturel devenant de plus en plus prégnante pour expliquer son développement. Le second moment- clé de notre histoire est celui de la révolution agricole, présentée par l’auteur comme la plus grande escroquerie de l’histoire. Si elle a permis le formidable essor de Sapiens, entraînant une hausse sans précédent de la natalité, elle a également eu pour conséquences de l’attacher à la terre, de le contraindre à trimer du matin au soir et de lui ôter à jamais la tranquillité de l’esprit, lui faisant craindre pour son avenir ainsi que pour ses maigres ou moins maigres possessions. La révolution scientifique, quant à elle, marque certainement l’apogée de Sapiens : elle l’amène à explorer l’univers, à développer l’économie, à croire au progrès en même temps qu’il acquiert de nouveaux pouvoirs en mettant au point de nouvelles technologies.


Parmi toutes celles que véhicule l’œuvre, trois idées maitresses m’ont particulièrement interpellée et me semblent particulièrement propices à la réflexion.


La première est l’importance des mythes et des fictions dans la création des communautés humaines. La pensée mythique est loin de n’être, comme le prétendent parfois les manuels de philo à l’usage des débutants, qu’un stade inachevé et ancien de l’histoire de l’esprit humain, destiné à être dépassé par la pensée raisonnée, le logos triomphant du mythos. Sans les mythes animistes, les groupes humains n’auraient pu se souder, sans les religions aux panthéons plus ou moins vastes et accueillants, ces mêmes groupes n’auraient pu s’étendre à plus d’environ 150 individus. Nous sommes bien sûr parfaitement en droit de penser que ces religions et toutes celles qui ont suivi n’ont jamais été que des chimères collectives mais il est aujourd'hui d’autres croyances qui structurent nos sociétés : la nation, la croissance, le progrès, les droits de l’Homme. Toutes les collectivités humaines sont fondées sur de tels crédos en des ordres imaginaires qui n’ont d’autre existence ou vérité que celles que nous leur attribuons. Et même si certains d’entre nous pensent qu’inventer des histoires n’est qu’une perte de temps, c’est bien sa capacité à inventer de telles histoires qui a fait prospérer Sapiens.


La seconde a trait à l'impact de l'espèce sur son environnement. Croire que l’Homme a pu, à un moment de son histoire, vivre en harmonie au sein de la Nature relève de la fable écologiste. Il n’a pas fallu attendre la révolution industrielle pour que nos ancêtres se mettent à provoquer des catastrophes à grande échelle. Dès l’aube de l’humanité, alors qu’ils ne disposaient que de la technologie de l’âge de la pierre, leurs migrations ont provoqué des extinctions de masse (à commencer chez les grands mammifères), la destruction d’écosystèmes, l’effondrement des chaînes alimentaires. C’est peut-être difficile à entendre mais il faut se rendre à l’évidence : Sapiens est une nuisance pour l’ensemble du vivant et avant même qu’il ne s’en rende compte, il avait déjà éliminé quantité d’autres espèces, provoquant de nombreuses tragédies écologiques. Au fond, si animaux et végétaux avaient le droit de vote, il n’est vraiment pas sûr qu’ils nous préfèreraient aux rats et aux cancrelats…


Et tout cela pour quoi ? Quel sens a cette formidable odyssée? Sapiens est certes l’espèce qui a réussi à s’imposer au détriment des autres : il connait une croissance exponentielle, prospère dans les moindres recoins de la planète et même au-delà, façonnant la terre selon son bon plaisir. En est-il plus heureux pour autant ? Le bonheur humain a-t-il connu une croissance qui égale l’expansion de l’espèce ? Il est certes difficile d’évaluer la notion de bonheur, éminemment subjective, mais il semble bien que les chasseurs-cueilleurs ou autres fourrageurs ne devaient pas être moins heureux que les agriculteurs qui, dès qu’ils se sont attachés à la terre, se sont retrouvés piégés par celle-ci et n’ont plus eu leur sort entre leurs mains. Et le paysan du Moyen Age qui croyait pouvoir retrouver au paradis la kyrielle de ses enfants morts en bas âge était-il moins heureux que le sera l’hypothétique a-mortel de demain, tremblant dans un monde où il est désormais le seul dieu qu’un meurtre ou qu’un accident ne le prive pour l’éternité d’un être aimé ? Nombre d’hommes modernes ne trouvent aucun sens à leur vie et craignent l’apocalypse qu’ils pourraient provoquer. Mais Sapiens pourrait bien nous étonner. Il est désormais à la croisée des chemins : peut-être en arrivera-t-il à détruire sur terre toute forme de vie organique, dont la sienne. Mais peut-être aura-t-il le temps, s’il vient à disparaître, de léguer à une post humanité déjà en marche un avenir dont nous ne pouvons imaginer ce qu’il sera, même pas en rêve.

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le 24 nov. 2019

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No_Hell

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