On imagine souvent l’artiste ou le poète comme une sorte de chauve-souris : une personne sombre, mystérieuse, recluse sur elle-même.


Ce n’est pas le cas de ces artistes auto-proclamés dans le roman, des « bohèmes », de joyeux festifs à l’esprit fraternel, goutant à tous les petits plaisirs que la société parisienne offre.


Ce ne sont pas des bohèmes bourgeois, et cela a toute son importance dans le roman. La misère les rend attachants. Plus séduisant encore, ce sont leurs manières de réagir à la misère. Chaque problème à sa fausse solution. Emprunteur davantage pour rembourser une dette, fuir le propriétaire qui réclame des impayés, ou l’amadouer quand il faut, réparer un chagrin amoureux par la première amourette venue, faire des orgies plutôt qu’épargner quand l’argent vient… Chaque bohème fait consciemment toutes ces maladresses, dans l’insouciante et la gaieté la plus totale et rien n’est fait dans l’intention de nuire.


Les premiers chapitres décrivent à merveille ces bohèmes vivant de hasard et d’esprit. Puis ce groupe de bohèmes, que l’aléa à formé, se resserre et semble murir tout le long du roman, en bien et en mal.


Le principal défaut de ce groupe est d’être une sorte d’association ou de club très fermé : il y a un parti pris d’isolement clairement affirmé. Ils perdent ainsi nécessairement l’avantage de se renouveler et de se rafraîchir par de nouveaux membres. Tout se concentre alors sur 4 artistes, un poète, un musicien, un philosophe et un peintre, petit cercle agrémenté de bohèmes féminines qui sont artistes dans l’âme, des électrons libres, vivant de liberté et de caprices.


L’autre défaut est que l’auteur n’a pas suffisamment développé le caractère de ces 4 artistes, ils se ressemblent un peu tous : mêmes goûts, habitudes, amours, mêmes sentiments et esprits. Seul le philosophe se démarque un peu dans le lot par ses extravagances.


C’est un peu la même chose pour les filles du cercle, ce ne sont que des courtisanes amoureuses, et variant peu, sauf à la fin du roman.


Bien dommage également, ce sont quelques digressions ratées à mon sens, en ce qu’elles sont trop détachées du roman. Quelques-unes sont toutefois suffisamment originales et touchantes pour marquer l’esprit.


Mais ce qui distingue formidablement ce roman, c’est ce va et vient amoureux entre Mimi et Rodolphe et Musette et Marcel. Les couples de bohèmes sont complexes, hauts en couleurs, un jour attaché, le lendemain détaché, ces couples créent des refrains d’amour frais et spontané mêlés avec des refrains de caprices, de disputes… Musette et Mimi sont tiraillées par les séductions de la haute société à laquelle elles ont un ticket d’entrée et Rodolphe et Marcel ont parfois cette dureté d’artiste égoïstes qui n’incitent pas à la réconciliation. Parfois l’extrême misère des uns attire la compassion des autres et renoue les liens, parfois l’irrésistible charme d’un poème suffit à déraciner une des filles du milieu aristocratique et aussi parfois l’état de santé critique d’une personne rebat les cartes de toute une relation.


La fin est sublime d’émotions sauf le tout dernier chapitre qui est un peu décevant et se veut maladroitement moralisant. Pour résumé grossièrement, être bohème ça va un temps, mais après il faut grandir… Une fin qui détonne et ressemble trop peu à l’auteur, la fin est brève, cela ressemble à une morale nécessaire pour éviter les critiques pour atteinte aux bonnes moeurs et éviter des remarques comme « ce roman va corrompre l’esprit de mon jeune fils ».


Le style ressemble aux bohèmes du roman, en ce que le style est léger, comique, quelques métaphores audacieuses. Les chapitres sont rapides, attachants, complets, les larmes s’y glissent sous le rire, les détails sont à leur place et l’on trouve des mots charmants de naïveté, de sentiment, de vérité ou de fantaisie.


Si vous n’avez pas l’humeur à vous consacrer à des lectures romantiques, certes attachantes, mais d’une solennité froide, car comme disait Balzac « tous ces poètes ont peu ce sentiment du comique » alors vous apprécierez grandement cette succession de récits brefs, attachants, où le comique se mêle à toutes les émotions, le tout sous un ton humble et décontracté sans pour autant tomber dans la vulgarité ni la facilité d'esprit.

EtienneBernard1
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le 16 janv. 2022

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Etienne Bernard

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