Contrairement à son héros, ce ne sont pas les sables mouvants qui menacent Fernand Combet, mais un péril tout aussi dévorant : l’oubli. Heureusement, de l’oubli, on peut s’en tirer : il suffit pour cela d’un éditeur audacieux - et de lecteurs curieux. Saluons donc les éditions Verticales pour s’être penchées sur cet écrivain marginal, auteur de quatre livres seulement, dont aucun n’avait été réédité. Lors de sa publication, en 1966, SchrummSchrumm ou l’excursion dominicale aux Sables Mouvants (le titre, déjà !) avait pourtant été salué par la critique. Considéré par Jean-Jacques Pauvert comme le meilleur livre de son catalogue, il connaissait depuis un fragile succès d’estime. Mais, au fond, la discrétion est peut-être ce qui convient le mieux à ce roman réfractaire à toute mode – un de ces livres à glisser de main en main, un peu en contrebande. Une espèce très spéciale de littérature hallucinogène, si tranquille en apparence...
SchrummSchrumm, ce sera notre héros. Un beau dimanche, le voici qui embarque - sans qu’il l’ait choisi - à destination des mythiques Sables Mouvants. Avant d’y parvenir, les excursionnistes devront faire étape dans la cité de Malentendu, histoire de prendre des forces, de passer quelques tests. Mais le séjour dure, et la promesse de l'excursion touristique cède peu à peu le pas à un cauchemar poisseux. De jour en jour, de lieu en lieu, au fil de ses rencontres, SchrummSchrumm suit une sorte d'apprentissage, ou plutôt de non-apprentissage : le pays qu’il découvre, comme Alice le sien, oscillant entre le merveilleux et le terrifiant, le laisse de plus en plus perplexe. Il y a de quoi, tant Malentendu est régie par l'absurde - en apparence, tout du moins, car SchrummSchrumm apprendra que chaque bifurcation de son destin était anticipée…
Car à Malentendu, tout est écrit. La vie y est faite de rituels, et repose sur une mythologie ancestrale, des textes canoniques. Leurs exégèses se contredisent et brouillent toute tentative d’accéder à la vérité : SchrummSchrumm n'aura qu'une connaissance indirecte de ce monde qui lui échappe. Rien qu’un écho déformé et inquiétant, le pressentiment vague d’une machination. On pense alors à Kafka, au Château, pour le récit d'une attente prolongée, la description d'une administration nébuleuse et arbitraire, d’une vérité inatteignable. Un Kafka qui aurait écrit après les totalitarismes, après la déportation, dont les images se superposent sans cesse aux descriptions de Malentendu. Un Kafka qui aurait lu Raymond Roussel, et dont il aurait hérité la puissance d’invention à la fois onirique et méticuleuse : Malentendu fourmille de détails prodigieux et insensés.
En imaginant Malentendu, Combet bâtit un labyrinthe où l'arbitraire est roi, et où SchrummSchrumm, armé de sa logique si rigoureusement humaine, ne peut que se débattre en vain. Ce labyrinthe est fait de prescriptions ancestrales, de décisions administratives, de religiosité et de violence : on voit bien là ce que Fernand Combet a à nous dire de son siècle – et du nôtre... Mais aussi, à sa manière, de toute destinée humaine. Ainsi, son histoire est tout ensemble tragique et cocasse : les joyeux excursionnistes voyagent bâillonnés, dans des cars aux volets de fer, les cérémonies les plus officielles tournent à la bouffonnerie, et c'est dans de calmes patios que d'effroyables exécutions ont lieu. Un humour absurde et désespéré, qui ne renonce ni à la magie ni à la fantaisie, achève de faire de SchrummSchrumm une rencontre aussi inattendue que stupéfiante.