Thierry Frémaux est loin d'être apprécié par tous. Un délégué général du Festival de Cannes n'a pas vocation à l'être. C'était aussi le cas de Gilles Jacob, dans un registre différent. Plus janséniste, disons. A vrai dire, on lui reproche tout et son contraire à Frémaux : d'avoir laisser glisser Cannes vers un cirque médiatique et people. Et de cultiver une certain forme d'élitisme en ne sélectionnant que des habitués du Festival : les Dardenne, Loach, Haneke, Moretti et tutti quanti. Voire. Sélection officielle, son journal qui retrace un an de vie, de Cannes 2015 à Cannes 2016, ne modifiera sans doute pas l'opinion de ses contempteurs à son égard. Bien au contraire. Mais cela n'a aucune importance. S'il s'agit bien d'une autobiographie en creux : l'enfance aux Minguettes, ses passions pour Springsteen et Dylan, son amour de Lyon et de la nature cévenole et celui du sport en général, du foot et du cyclisme en particulier, cet autoportrait montre un hyperactif au travail, plutôt insomniaque, qui a un immense besoin d'être aimé autant que d'aimer, mais comment peut-on lui reprocher ? Evidemment, il y a du "namedropping" à foison dans Sélection officielle : un coup de fil de Cimino, plusieurs jours passés avec Scorsese, une discussion avec Clooney à propos de tracteurs (sic) sur le tapis rouge, un rendez-vous avec Deneuve, etc. Ce ne sont jamais des révélations phénoménales ni des secrets intimes que révèle Frémaux, pas le genre de la maison, mais les histoires d'un type qui, au fond de lui, a gardé une certaine candeur, et n'en revient pas de côtoyer des personnages aussi brillants et célèbres. Au-delà de l'anecdote et parfois de la blague potache, genres qu'il pratique avec délice, façon de ne pas se prendre au sérieux ?, cela nous vaut d'assister à de très belles scènes, celle de l'émouvante rencontre entre Scorsese et de Kiarostami au Festival Lumière, par exemple. Par ailleurs, Frémaux cultive l'amitié comme un art de vivre, en bon gastronome oenophile : Laurent Gerra, Pierre Lescure, Bertrand Tavernier et quelques cinéastes et acteurs, aussi. Pour en revenir à Cannes, qui est tout de même la grande affaire du livre, il incarne un délégué général moderne, avec des partis pris et une ouverture à tous les cinémas que n'avait pas ses prédécesseurs. C'est également ce qu'on lui reproche mais c'est son credo. "Je préfère un bon film commercial à un mauvais film d'auteur " a t-il notamment déclaré. Dans l'orthodoxie cannoise, ce genre de propos est commenté et parfois condamné. Passons. Sélection officielle donne avant tout un formidable coup de projecteur sur le plus grand festival du monde. Les coulisses, avec tout cela comporte d'espoirs déçus (films pas prêts à temps), de découvertes (Toni Erdmann) et de refus qui fâchent les destinataires (Kusturica). Cannes est une marmite qui cuit à feu doux de juin à décembre et est porté à ébullition ensuite de janvier à avril avec l'obligation de regarder quelque 1 800 films avant d'en retenir moins de 50 entre la Compétition officielle, Un certain regard, les séances spéciales et le hors compétition. Un boulot titanesque accompli sous la pression des producteurs et des cinéastes. Avec la crainte de se tromper (le film de Sean Penn), ce qui arrive forcément. Ce long travelling dans les cuisines du Festival, et même si Frémaux ne dit pas tout, est l'attrait principal de ce livre de 620 pages. Change t-il le regard du cinéphile de base qui l'a dévoré en 3 soirées ? Oui, quand même, sur son délégué général autant que sur la manifestation elle-même, qui continueront à être autant décriés et critiqués l'un et l'autre, dans le futur, c'est inévitable et sans nul doute comme une façon très française de célébrer et aimer notre tout premier événement culturel et médiatique (que ces deux mots ont du mal à cohabiter !) aux yeux du monde. En un mot comme en cent, Sélection officielle est passionnant de bout en bout.

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le 4 févr. 2017

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