Il y a deux façons de lire Senilità. Hélas, aucune des deux n'est particulièrement bonne.
La première, c'est de la lire en tant qu'œuvre close sur elle-même, décrivant un homme - Emilio - piégé par sa passion pour une femme - Angiolina - somme toute exubérante, à la vie amoureuse aventureuse et assumée. On y lit alors les projets, les espérances et les décisions d'un homme à propos de ses désirs amoureux ainsi que ses conceptions esthétiques et éthiques à travers sa relation amicale avec un artiste du nom de Stephano.
Le roman est alors relativement linéaire, convenu bien qu'intéressant. On suit cette vie mondaine, tiraillée entre les froides convenances et les passions ardentes ; les volontés de stabilité et d'apaisement et cette énergie débordante et consciente assimilée à la vie elle-même.
La seconde ne rend pas l'ouvrage plus admirable, mais elle propose un filigrane à travers lequel le lire. C'est de prendre Senilità pour l'ébauche, le brouillon, la matière nécessaire à la pratique d'un chef-d'œuvre tel que La conscience de Zéno. Car tout y est : Trieste, la petite vie mondaine, les amours déçues, les trouvailles merveilleuses du mécanisme de la conscience humaine... Tout y est, mais en substance, en travail, en gestation. On peut alors voir ce livre comme le travail en préparation de l'œuvre du maître.
Et, à ce titre, Senilità n'est pas dépourvu d'intérêt, car l'approche psychologique des personnages est loin d'être négligeable. On y retrouve ainsi ce fameux piège de l'amour, l'illusion que l'on crée et à laquelle on s'accroche soi-même, en idéalisant l'être aimé quitte à le faire devenir radicalement autre qu'il n'est ; mais aussi le tiraillement évoqué entre la passion de la découverte de l'altérité, des altérités, et la recherche désespérée de la tranquillité de l'amour ; la capacité de se créer des souvenirs pour échapper au dégoût et à la tristesse...
Bref, tout ce que l'on retrouvera en mieux exploité, en mieux développé, et mieux décrit et travaillé dans La conscience de Zéno. Mais, évidemment, Senilità ne peut que souffrir d'une telle comparaison...