Puissant et brut
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le 21 oct. 2010
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Le voici, enfin, le livre que je cherchais désespérément, durant toutes ces années de lecture à tâtons. Après tant de romans terminés sans que mon cœur en soit effleuré, tant de pages survolées sans qu'un seul de mes poils ne se dresse, enfin mes genoux cèdent absolument devant cet incendie de papier et mon corps ploie tout entier, écrasé par le génie évident du chef d'œuvre.
Chaque page est une lance qui traverse les viscères, chaque mot est craché avec les tripes. C'est une littérature sale, éminemment vulgaire, pleine d'impuretés et de crasse. Abjections sublimes. Turpitude transcendante. Calaferte s'inscrit dans la lignée des pontes romanesques de la perversion poétique, qui savent dessiner le vice humain dans toute sa grâce.
De quoi déplaire à beaucoup de nos contemporains puritains, aux lecteurs immatures abreuvés à l'eau de rose, aux bigots qui refuse dans l'art tout ce qui touche à l'immanence, à la bassesse et au stupre. Toutefois, notons que les premiers détracteurs n'émanaient pas du public mais des plus hautes sphères de l'Etat. Ecrit dans les années 60, le roman est interdit à la publication par le ministère de la Santé et le ministère de l'Intérieur pendant plus de vingt ans. Quelle excitation de lire un bouquin jugé dangereux pour l'ordre public ! Quant à vous, tristes lecteurs, condamnez, vomissez, qualifiez cette œuvre d’immorale, de dégoûtante, de blasphématoire ou même d’emmerdante si ça vous chante, je m’en taperai joyeusement, rien ne me fera changer d’avis.
Car voici le genre de bouquin qui peut tutoyer le Voyage au bout de la nuit, et même exiger le vouvoiement en retour. Oui, Septentrion dépasse et de loin tout ce que j'ai pu lire avant, et Céline n'est pas exempté. Pourtant Calaferte s'est très certainement inspiré du génie de son prédécesseur, de son invention de l'oralité littéraire, de sa découverte du sublime dans le vulgaire, de la poésie dans l'argot populaire.
J'interromps brièvement ce panégyrique pour présenter le bouquin. C'est une sorte d'autobiographie, voire un journal de bord, dans lequel un prolo viré de son usine raconte l'itinéraire l'ayant conduit à devenir écrivain. Ce rêve d'écriture hante son quotidien de débauche, comme une quête existentielle, et il suivra aveuglément cette boussole vitale lui indiquant son ... septentrion. Evidemment, c'est un peu plus que ça, l'esprit génial de l'auteur partant tous azimuts au fil des 400 pages.
Calaferte fait partie de ces marginaux comme on en fait plus, un marteau en guise de plume, de la TNT dans l'encrier. Son côté nymphomane se traduit en une obsession violente, l'inspiration jaillit directement de ses couilles. Les femmes sont au centre du récit, femmes qu'il décrit tantôt comme des morceaux de chair à dévorer, ne voyant dans leurs yeux qu'un con béant, tantôt comme des déesses généreuses, avec le langage de l'amour.
Il est violemment iconoclaste, détruit tout sur son passage, il crache sur les mœurs bourgeoises, les petites vies bien rangée, la famille, l'Eglise, le fric, la morale en général. Mais c'est aussi un romantique passionné, le cœur brûlant comme une météorite, qui fait l'éloge de l'Art, de la création, du sexe.
Il abhorre la culture, qui est de la règle, et encense l'exception, qui est de l'art. Qu'elle soit d'or ou de sang, chacune de ces pages est comme un lambeau taillé à même la peau de l'écrivain écorché vif.
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Créée
le 30 janv. 2025
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