Pervers pépère
Je referme écoeurée ce roman à la page 222. Non seulement il est ennuyeux, déprimant, inintéressant dans son propos mais, comble de l'indécence, d'une ambiguïté malsaine, au fond vraiment...
le 13 mars 2019
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À peu près personne aujourd'hui n'a besoin d'être informé de la superficialité globale du discours médiatique contemporain, d'ailleurs cela est d'autant plus exact pour ce qui est des lecteurs de Houellebecq (qui n'a pas manqué d'encore écrire quelques savoureuses pages à ce sujet au cours desquelles on sent son profond amour pour BFMTV). Je ne vais donc probablement surprendre personne en annonçant d'emblée que ce roman (au même titre que ceux qui l'ont précédé dans l'ensemble de l'œuvre de l'auteur) n'a pas grand chose à voir avec ce qui a été annoncé par les médias jusqu'au jour de sa sortie. Néanmoins, il est à noter une certaine forme de cohérence entre leurs "reportages" et la démarche du romancier.
En effet, durant la dernière élection présidentielle, il avait déclaré :
La deuxième France dont vous parlez, c'est-à-dire la France qui est périphérique, qui hésite entre Marine Le Pen et rien, je me suis rendu compte que je ne la comprenais pas, que je ne la voyais pas, que j'avais perdu le contact et ça quand on veut écrire des romans je trouve que c'est une faute professionnelle assez lourde. (1)
Cette prise de conscience, Houellebecq l'a transposée vers son protagoniste agronome, impuissant face au désastre des agriculteurs :
[...] même si toute ma sympathie allait aux agriculteurs, si je me sentais prêt en toutes circonstances à plaider leur cause, j'étais bien obligé de me rendre compte que j'étais maintenant du côté de l’État français, que nous n'étions plus tout à fait dans le même camp.
Par cet ouvrage, l'écrivain semble avoir essayé de se rattraper en collant à une forme de crudité des faits décrits avec un flegme troublant. On peut donc par là constater une espèce d'évolution dans son style, l'écriture se voulant toujours blanche mais parvenant à se montrer plus fluide qu'à l'habitude. On ne bute plus sur les mots pour plus aisément visualiser les scènes jusqu'à, pour peu qu'on connaisse des expériences similaires à ce qui est décrit, les vivre. (2)
En conséquence, on trouve, il est vrai, un certain nombre de scènes portant sur la détresse d'un monde paysan poussé à la révolte face à l'absurdité du carcan européen et de son modèle productiviste courant à une catastrophe dont j'ai du mal à comprendre qu'on puisse douter :
Non, je respecte le cahier des charges bio, en plus j'essaie de limiter l'utilisation de maïs, une vache en principe ça mange de l'herbe. Enfin j'essaie de faire les choses correctement, ça n'a rien d'un élevage industriel ici, tu as pu voir les vaches ont de la place, et elles sortent un peu tous les jours, même en hiver. Mais plus j'essaie de faire les choses correctement, moins j'arrive à m'en sortir.
Il y a bien cela, oui, mais là n'est pas l'essentiel du propos. À vrai dire, Sérotonine n'est pas la prophétie des Gilets Jaunes (les manifestations paysannes ont lieu depuis longtemps, ramener cela aux évènements les plus récents a donc peu de sens) mais d'abord et avant tout un livre sur la dépression.
Comme à son habitude, sous la forme d'un carnet intime, Houellebecq nous fait pénétrer la conscience de Florent-Claude, quadragénaire ne s’accommodant plus de sa situation, qui décide de tout abandonner pour commencer une nouvelle vie, n'attendant même pas que la mort l'y pousse. Cependant, à partir de là se coud une forme de paradoxe (3) autour de son destin car d'un souhait originel de tirer un trait sur sa vie il en parvient à se tourner vers son passé pour comprendre ce qui aurait pu (dû) lui apporter le bonheur.
Mais de là, il ne trouve que le regret,
Ça n'allait pas aller, je n'allais pas m'en sortir, et je le savais bien.
le malheur,
[...] décidément on ne peut rien à la vie des gens me disais-je, ni l'amitié ni la compassion ni la psychologie ni l'intelligence des situations ne sont d'une utilité quelconque, les gens fabriquent eux-mêmes le mécanisme de leur malheur, ils remontent la clef à bloc et ensuite le mécanisme continue de tourner, inéluctablement, avec quelques ratés, quelques faiblesses lorsque la maladie s'en mêle, mais il continue de tourner jusqu'à la fin, jusqu'à la dernière seconde.
le désespoir
[...] je maintenais le désespoir à un niveau acceptable, on peut vivre en étant désespéré, et même la plupart des gens vivent comme ça [...]
[...]
Je n'avais plus guère d'espoir d'être heureux, mais j'ambitionnais encore d'échapper à la démence pure et simple.
et la mort.
Pour cela je mérite la mort, et même des châtiments beaucoup plus graves, je ne peux pas me le dissimuler : je terminerai ma vie malheureux, acariâtre et seul, et je l'aurai mérité.
Pour qui le bonheur est-il fait d'ailleurs ? Là est la vraie question.
Notes :
(1) Lien de l'interview : https://www.youtube.com/watch?v=91SniVEEH7U
(2) Je ne peux par contre pas savoir à ce propos lequel de mon goût ou de son écriture a évolué.
(3) Attention au spoil...
Il y a un second paradoxe, ou plutôt une évolution. D'abord, il y a effectivement le fait qu'il se plonge dans son passé au lieu de tirer un trait sur sa vie comme prévu. Mais de plus, au lieu de recommencer une nouvelle vie, finalement il se met à attendre la mort.
Et si ça vous dit de lire ce que j'ai écrit sur d'autres romans de Houellebecq :
Ici, ma critique d'Extension du domaine de la lutte...
...et là celle sur Soumission.
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Créée
le 5 janv. 2019
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