« Un livre magnifique, qui vous hantera longtemps. »
Michael Connelly (Harry Bosch) a raison. Seul le silence, roman noir de R. J. Ellory et tragédie en trois actes, vous hantera longtemps, bien longtemps après en avoir fini la lecture.
Acte I : La folie
Tout commence dans un petit village perdu de Géorgie, au fin fond de l’Amérique profonde, loin, très loin du fracas de la Seconde Guerre mondiale. Là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, de l’autre côté du Pacifique, les morts se comptent par millions. Mais ici, à Augusta Falls, il se comptent sur les doigts d’une main, puis de deux. Ce ne sont pas des hommes dans la fleur de l’âge, mais des petites filles qui disparaissent. Ce n’est pas un suicide planétaire, c’est un drame local. Mais ce sont aussi des vies bouleversées.
Dans ce village où règne l’entre-soi, où l’étranger est un danger, où l’on naît, où l’on vit, où l’on meurt sans jamais quitter sa terre, la folie guette. Et lorsqu’elle éclate par la main d’un tueur en série, la contagion menace. La confiance disparaît, la méfiance s’installe, la chasse aux sorcières débute.
Comment grandir dans cet environnement paranoïaque quand on n’a que douze ans ? Car le narrateur est un enfant, Joseph, qui perçoit la tragédie mais n’en connaît pas tous les détails. R. J. Ellory nous épargne ainsi les détails macabres sans en ôter l’horreur : si le narrateur ne peut imaginer le pire, le lecteur, lui, le peut.
Durant toute la première partie du roman, le procédé narratif ressemble à celui de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (Harper Lee, 1960). Dans ce roman d’apprentissage qui se déroule lui aussi dans une petite ville reculée des États-Unis, en Alabama, le lecteur est confronté au racisme à travers les yeux d’une enfant qui comprend que les adultes n’ont rien compris.
Joseph, pour sa part, comprend que les adultes sont fous. Pour éviter de devenir comme eux, pour s’échapper d’Augusta Falls, sa prison, il ne lui reste que l’école, porte ouverte sur l’écriture et l’amour. Il y découvrira les deux et se créera une bulle de bonheur imperméable au malheur du monde. Avant de prendre son envol.
Acte II : La fuite
En France, les aspirants artistes montent à Paris. Aux États-Unis, les acteurs se rendent à Los Angeles, les écrivains à New York. Pour Joseph, ce sera donc la Grosse Pomme.
Le contraste est saisissant avec la première partie du livre. Ellory parvient à nous faire entendre les bruits de la ville et le tourbillon de la foule avec autant de réussite qu’il nous racontait le silence de la forêt et l’ennui des villageois dans les pages précédentes.
On plonge avec Joseph dans la vie intellectuelle et artistique new-yorkaise de l’après-guerre, dans la joie de l’écriture et l’excitation des premiers succès. Loin, très loin de ce tueur en série qui a hanté sa jeunesse.
Libre, enfin. Jusqu’au drame.
Acte III : L’expiation
Joseph avait fui l’horreur, la voilà qui le rattrape. Il pensait avoir quitté une prison, il en retrouve une autre. Dans celle-ci, il va expier la culpabilité qui le ronge : son impuissance, enfant, à protéger ses camarades, et son remord d’être vivant quand tant sont morts.
Ce troisième acte n’occupe curieusement qu’un cinquième du livre alors qu’elle couvre plusieurs années de la vie du narrateur. À cause de ce déséquilibre, cette partie n’est pas aussi immersive que les deux premières. C’était pourtant l’occasion de plonger le lecteur dans un autre environnement, une autre Amérique, radicalement différente de celle de la campagne et de la ville.
Le récit reste néanmoins fascinant. La tension monte jusqu’au dénouement final qu’on sent implacable, inévitable, jusqu’à la révélation de l’identité du meurtrier qu’on devinait sans vouloir y croire.
Avec Seul le silence, R. J. Ellory a frôlé le chef-d’œuvre. Il signe un grand, un très grand roman. Qui vous hantera longtemps.