La forme. Slashers est un beau-livre à vocation encyclopédique, généreux en photogrammes et en anecdotes. Son grand format conditionne avantageusement l’organisation des pages, avec de nombreuses illustrations, des textes aérés, différents titrages, des encadrés thématiques ou encore la mise en exergue d’extraits ou de citations. L’ouvrage se constitue de fiches dédiées à des dizaines de films, de focus plus spécifiques, d’analyses étayées d’une dizaine de franchises et, naturellement, d’informations plus générales sur l’évolution du genre, commercialement et artistiquement, à travers le temps.


Les origines. Si les années 1970 voient le slasher movie émerger, les auteurs rappellent à dessein que des films tels que Psychose ou Le Voyeur portaient déjà en leur sein les signes avant-coureurs du genre. On peut même reculer dans le temps, et l’ouvrage ne s’en prive pas, pour se pencher sur les ascendances italiennes (le giallo) ou allemandes (le krimi) d’un cinéma dont La Nuit des masques a longtemps constitué la pointe avancée.


Les motifs et récurrences. Prenez un lieu a priori sécurisant : une école, une banlieue proprette ou un camp de vacances. Glissez-y quelques adolescents ou jeunes adultes insouciants. Ajoutez-y un tueur masqué, muni d’une arme de contact, et si possible mû par des failles psychologiques béantes. Associer le sexe ou l’alcool à la mort. Prenez une fille légèrement marginale, sur le point de s’éveiller au sexe et faites-en votre héroïne, votre survivante, votre final girl. Vous tenez la recette, quasi immuable, du slasher.


La Nuit des masques. Quand il soumet La Nuit des masques au public américain en 1978, John Carpenter est loin de se douter de l’ampleur que prendra son film. Les auteurs ne manquent pas de le préciser : avant la réalisation de ce long métrage séminal, le slasher en était encore à ses balbutiements. Mais le premier épisode de la franchise Halloween va faire école. Non seulement il va engendrer une quantité industrielle de suites, mais il va aussi baliser la voie pour Vendredi 13 et consorts, avant que Scream, presque vingt années plus tard, ne lui rendent un hommage mérité – en citant le film, son réalisateur et même ses personnages (Loomis).


Scream. Wes Craven, vétéran du cinéma d’horreur, récupère, après un premier refus, un script ardemment convoité, et notamment par Oliver Stone. Le jeune scénariste Kevin Williamson, en cinéphile notoire, est parvenu à se réapproprier et à détourner, dans un même mouvement, les codes du slasher movie. Scream est une formidable entreprise de déconstruction : postmoderne, autoréflexif et métafictionnel, il énonce des règles qu’il transgresse aussitôt, il multiplie les références à ses prédécesseurs (de Psychose à La Nuit des masques), il s’adonne à l’autocitation (Wes Carpenter, Freddy, etc.) et à la mise en abîme (Stab). Comme Halloween ou Souviens-toi… l’été dernier, la franchise des frères Weinstein va faire l’objet d’une analyse détaillée, encore prolongée par l’évocation de Scary Movie, qui en parodie les effets. Les auteurs se penchent aussi sur le contexte de sa création : Scream donne lieu à un renouveau du genre, qui avait commencé à s’essouffler dès 1982, avec des suites déclinant qualitativement et des ersatz insatisfaisants et ce, malgré des micro-budgets venant régulièrement garnir les étals des vidéoclubs. Mieux, malgré un développement plus chaotique (indisponibilité de Kevin Williamson, plannings serrés, réécriture du troisième volet en raison de la fusillade de Columbine…), Scream ne cesse de se réinventer dans ses suites, en anticipant par exemple dès 2011 le slasher shooté aux nouvelles technologies.


Incitation à la violence. L’une des raisons du désamour parfois éprouvé vis-à-vis du slasher tient à son caractère violent et/ou gore. Dans les années 1980 sont ainsi apparues les premières critiques à l’encontre d’Halloween ou Vendredi 13, avant que le Video Recordings Act britannique de 1984 ne confirme cette tendance en censurant plusieurs dizaines de films. Les copycats, ces tueurs s’inspirant des slashers, alimenteront de pareils débats au cours de la décennie suivante, et notamment à l’égard de Scream.


Psychologie d’un genre. Parmi les nombreuses interviews incorporées dans Slashers figure celle de la psychothérapeute Ghislaine Romain. Elle explique l’attirance du public pour ce genre cinématographique par l’effet cathartique, l’attrait du morbide et la libération par le cerveau de la dopamine, hormone du plaisir, ici liée à la production d’adrénaline engendrée par la peur. Elle voit aussi dans le slasher movie une sorte de conte pour adultes, dont la « consommation » renverrait à la transition biopsychosociale des adolescents. La spécialiste verbalise aussi les effets d’habituation, de désinhibition et de désensibilisation à l’égard de la violence occasionnés par ces films, tout en en nuançant le caractère néfaste – en tant qu’exutoire, ils pourraient en réalité réduire le risque effectif d’un passage à l’acte – et en rappelant, paradoxe de la poule et de l’œuf, qu’on ignore si les copycats sont véritablement inspirés par les slashers ou s’ils ont un attrait particulier pour le genre précisément parce qu’ils sont sujets à l’agressivité.


Male gaze. Professeure à l’Université de Berkeley, Carol Jeanne Clover voit ses thèses déclinées le long d’un passionnant chapitre. Elle bat en brèche l’idée selon laquelle le slasher movie serait porteur d’un male gaze. Elle argue que la fonction l’emporte sur le genre et que les dispositifs de mise en scène du slasher invitent le spectateur à adopter le point de vue de la final girl et, in fine, à s’identifier à elle. Au prétendu regard scopophilique ou sadique-fétichiste des jeunes spectateurs, elle oppose un schéma narratif mettant aux prises un tueur aussi incomplet que frustré et des femmes, les survivantes, auxquelles on attribue des traits généralement perçus comme masculins (la résilience, la force, l’audace, la cérébralité…). Bien qu’elle se garde de qualifier le slasher de féministe (les femmes y demeurent globalement dénudées et victimisées), Carol Jeanne Clover y voit rien de moins qu’une sorte de female gaze – que le personnage de Sidney Prescott a d’ailleurs redéfini touche par touche, comme cela est longuement expliqué dans l’ouvrage.


Oups. Slashers fourmille d’anecdotes sur le contexte de production des films évoqués par Guillaume Le Disez, Fred Pizzoferato, Marie Casabonne et Claude Gaillard. Sa lecture permet de prendre la peine mesure des difficultés parfois rencontrées lors de la préparation ou du tournage d’un long métrage. Citons, à titre d’exemple, les cas de Julien Maury et Alexandre Bustillo, interviewés dans l’ouvrage, et débarqués d’Halloween II pour qu’un Rob Zombie jusque-là peu concerné puisse mettre un terme au contrat le liant à Dimension Films. Continuons avec Vendredi 13, franchise mise à l’arrêt en raison des désaccords juridiques opposant Sean Cunningham et Victor Miller. La saga Scream fera elle aussi les frais de contentieux, raison pour laquelle Kevin Williamson se désengagea prématurément du quatrième épisode, tandis que le troisième, lui, terminera entre les mains d’un Ehren Kruger manifestement incapable de rester fidèle à la caractérisation développée dans les deux premiers opus. Entre scénaristes, réalisateurs, producteurs et techniciens, le dialogue est parfois difficile, mais s’y ajoutent en plus des considérations connexes, comme celles se rapportant à l’usage des masques de Fun World dans Scream ! Au-delà de ses dimensions historique et analytique, Slashers se distingue aussi pour sa faculté à relater et vulgariser tout ce qui peut conditionner la mise en boîte d’un long métrage. Le cinéphile comme le profane y trouveront largement de quoi assouvir leur curiosité.


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Cultural_Mind
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le 21 déc. 2021

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