Petite déception pour cette nouvelle au postulat de base fascinant, à l'écriture parfaite et à la réflexion fine car le rendu final laisse un peu à mon sens le lecteur sur le carreau.
Sommeil raconte l'histoire d'une femme en qui il doit être sans doute facile de se reconnaitre. Epouse et mère dévouée, son quotidien si répétitif qu'il lui permet à peine de différencier les jours ne lui laisse guère de temps pour elle-même. Jusqu'à ce qu'elle se retrouve délivrée du besoin de dormir...
Murakami décrit à merveille cette femme "générique", définie presque entièrement par ses taches puisque lui reste à peine le temps de penser, de se définir par des choix ou des envies personnelles. Sa 'reconstruction' une fois ce temps disponible passe en premier lieu par la littérature, faisant de Sommeil une sorte de déclaration quant aux pouvoirs des livres.
Si je suis convaincue par les choix formels comme par le propos, je n'ai pourtant pas réussi à être emballée par Sommeil.
Que l'on ne s'y trompe pas, le style, la construction du personnage, tout est preuve d'une remarquable intelligence, mais le fait est que quelque chose n'a cette fois pas pris. Peut-être que ce coté 'millimétré' de l'écriture sied moins, d'abord au format nouvelle, car peu de pages nous sont laissées pour apprendre à aimer le personnage, au delà du fait de le connaitre... Ensuite à la narration à la première personne, qui conjuguée à ce court laps de temps, fait paraitre le personnage un peu froid... C'est certes voulu, pour rendre le coté mécanisé de sa vie et par extension, de ses pensées mêmes, mais en empêchant la narratrice de briser cette mécanique (son nouveau temps libéré est vite soumis, lui aussi, à une routine) il devient très difficile de porter sur elle qu'autre chose que de la curiosité, une envie de comprendre ce qui lui arrive.
Dès lors le fait de ne jamais satisfaire cette curiosité, l'absence de solution explicite qui d'ordinaire ne gène pas la lecture des ouvrages de Murakami, se fait ici frustrant. D'autant plus qu'à cette non explication s'ajouter un tempo étrange, l'impression, arrivé au bout, de ne pas comprendre pourquoi cette scène là devait être la dernière.
Sommeil m'apparait donc comme une machine bien huilée mais qui souffre de sa perfection, de l'absence de rouille ou de grain de sable dans le mécanisme, et dont les tic-tac bien réguliers finiraient presque par inviter... au sommeil ? On en ressort au final comme d'un rêve, intrigant, riche, sujet à mille interprétations mais qui s'étiole bien trop vite une fois que l'on est réveillé.