Située en plein Tokyo, la gare d’Ueno comporte plusieurs sorties. L’une d’elles donne sur un parc important. À la recherche du calme, le narrateur y vit en SDF sous une tente, alors qu’il a passé les 70 ans. Il fréquente un peu les autres SDF et s’en fait quelques amis. Entre eux, la solidarité est une règle très naturelle et il a tout son temps pour agiter ses souvenirs ou observer l’activité dans le parc.
Il a toujours travaillé courageusement (et gagne encore selon ses besoins, grâce à un peu de récupération) et affronté dignement les épreuves de la vie. Il a besoin de se retrouver après plusieurs drames personnels, le dernier en lien avec une catastrophe nationale. Son monologue intérieur suit des émotions et sensations, sans ordre précis. Et même si on comprend ce qui l’a marqué (en particulier des deuils), tout a tendance à se bousculer dans sa tête.
Le caractère éphémère de la vie
Ses chagrins émergent au milieu de ses observations de la vie quotidienne. Dans le parc, il observe notamment les visiteurs de l’exposition « Les roses de Redouté » dont il retranscrit des bribes de conversations souvent futiles. Une exposition qui l’amène à des considérations beaucoup plus personnelles, à caractère philosophique. Pierre-Jospeh Redouté (1759-1840) est un artiste français réputé pour ses peintures à l’aquarelle des roses de nombreuses variétés, immortalisant ainsi des fleurs par nature éphémères. On notera au passage que le choix de Redouté (pour l’exposition, mais aussi pour agrémenter ce roman japonais) illustre la fascination réciproque entre français et japonais.
Préparation des Jeux Olympiques
La vie du narrateur est régulièrement perturbée par des déménagements forcés, notamment au gré des passages aux alentours ou dans le parc de membres de la famille impériale japonaise. Les délégations officielles doivent ignorer que des SDF vivent à Tokyo, surtout que la ville est alors candidate à l’organisation des Jeux Olympiques de 2020 (les japonais ont besoin de rêver à un projet hors du commun). Ce projet fait évidemment réagir le narrateur, car quand il avait la trentaine, il a travaillé comme ouvrier sur le chantier de préparation des Jeux Olympiques de 1964. C’est l’occasion d’une mise en perspective de sa vie.
Tristesse et beauté
Ce court roman (164 pages) se lit assez rapidement. Il s’en dégage pas mal de mélancolie, sentiment qui prédomine dans le ressenti du narrateur qui ne cache pas qu’il est venu dans ce parc pour attendre la mort. On devine qu’il y cherche un peu de sérénité. Dans ce parc, il peut souffler et profiter de la nature. Même s’il subit encore quelques tracas (sommeil difficile, car son hébergement manque singulièrement de confort), il peut profiter de la beauté du lieu et de la vie qu’il y observe, notamment les oiseaux. La prose de Yū Miri retranscrit bien son désarroi, mais aussi toutes ses sensations dans ce milieu proche de la nature. Les couleurs et bruits y prennent toute leur importance. Ce n’est sans doute pas un hasard si le narrateur a choisi ce parc, à proximité de la gare D’Ueno. Ainsi, il se trouve dans un milieu naturel, mais proche d’un nœud d’activité qui met à sa portée toute destination qu’il choisirait sur un coup de tête. La lecture permet de se faire une idée du Japon, bien loin des clichés rebattus.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné