Retour à l’Université Invisible pour une intrigue centrée sur la vénérable institution, menacée ici par un péril dont les manifestations magiques risquent de surcroît d’entraîner l’Apocralypse (l’apocalypse apocryphe, bande d’ignares !). C’est l’occasion de retrouver Rincevent, désormais promu au poste d’assistant à la bibliothèque. En fait, le bougre se contente surtout de pourvoir au régime de son maître, des bananes essentiellement, tout en couvrant d’un regard inquiet les lourds volumes de magie et les opus majeurs mis à la chaîne pour préserver l’intégrité physique de leurs lecteurs.
À la veille de l’intronisation du nouvel archichancelier, l’Université frémit d’agitation tel un essaim de faux bourdons léthargiques. Pendant que le cuisinier prépare le repas spécial imaginé pour l’occasion, les mages peaufinent discours et compliments, fourbissant des sourires de circonstance. Mais derrière cette façade de respectabilité, ils se réjouissent surtout des agapes à venir, déjà prêts à se saouler comme des rustres, à chanter comme des braillards et à manger jusqu’à s’en faire péter l’œsophage. Tous ne voient pas s’amonceler les signes annonciateurs du désastre, des signaux de mauvais augures qui volent, rampent, sautillent ou chuintent vers la sortie. Tous sauf Rincevent qui prudemment opère un repli stratégique vers « Le Tambour rafistolé », la taverne à la réputation de bouge le plus chic d’Ankh-Morpok, où il a ses habitudes. Mais comme on dit, c’est en reculant pour mieux sauter l’obstacle que l’on trébuche dans le marigot, juste derrière.



« Mon père disait toujours que la mort, c’est pareil au sommeil.
Oui, c’est ce que m’a dit le chapeau, répliqua Rincevent alors qu’ils
tournaient dans une rue étroite, pleine de monde, entre des murs
d’adobe blancs. Mais à mon avis, c’est beaucoup plus dur de se lever
le matin. »



Rassuré par la tournure prise par le cycle avec Mortimer, mon enthousiasme se trouve conforté par ce cinquième volume des « Annales du Disque-Monde », même si l’on se situe un bon cran en-dessous du précédent tome. On y retrouve avec plaisir Rincevent, le mage couard et calamiteux du début, renouant avec son addiction à la vie, une drogue dure à laquelle il s’accroche comme un tique à sa seringue (j’aime bien l’image).


L’intrigue se focalise sur l’Université Invisible, un panier de crabes où la concurrence semble uniquement tempérée par les intentions homicides des uns et des autres. L’arrivée d’un sourcelier, huitième fils d’un mage révoqué jadis, vient semer la zizanie dans les lieux, remettant en cause la Tradition, pour le plus grand plaisir des ambitieux. Mais cette magie brute, surpuissante et sauvage, risque bien de brûler les ailes nouvellement acquises, entraînant le monde à sa perte.


Pendant ce temps, il incombe à Rincevent de sauver le monde, une fois de plus. Avec Conina, il se trouve en bonne compagnie pour le faire. Fille de Cohen le barbare, la jeune fille rêvait de devenir coiffeuse. Mais l’hérédité lui a fait adopter la vie aventureuse de son géniteur. Voleuse plus prompte à étrangler le quidam qu’à l’embrasser, elle pousse Rincevent à déployer des trésors d’ingéniosité pour ne pas succomber à son charme fatal, à plus d’un titre. Tout deux embarquent dans un périple vers les contrées exotiques du Klatch, sous la conduite du chapeau de l’Archichancelier qui espère ainsi trouver un champion pour s’opposer au sourcelier. L’occasion pour Terry Pratchett de parodier l’univers des « Mille et Une Nuits » et d’accoucher du personnage de Creosote, un satrape vaguement poète et de Nijel le destructeur, un apprenti héros encore un peu vert.


Mélangeant le sarcasme et le nonsense, Sourcellerie enchaîne les rebondissements sans faiblir jusqu’à un bouquet final sans doute trop prévisible. L’humour révèle tout son sel – peut-être devrai-je parler de poil à gratter – dans les dialogues farfelus. Et si l’aspect parodique reste convaincant, il peine malheureusement à faire oublier une trame tirant un tantinet à la ligne, foutraque jusque dans ses digressions, même si le récit retombe sur ses pieds au terme d’un deus ex machina pratchettien.


Bref, si l’on s’amuse incontestablement à la lecture de Sourcellerie, on tique aussi souvent devant les péripéties inabouties, voire superflues. Rendez-vous avec Trois Soeurcières pour voir si les choses s’améliorent. Mon petit doigt me souffle oui !


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leleul
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le 3 juin 2016

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