Poursuivant son panorama de la culture populaire contemporaine, la Bibliothèque des miroirs s’enrichit d’un huitième volume. Cette fois-ci, c’est au steampunk de passer sur le grill, un courant protéiforme, soulevant plus de problèmes qu’il n’en résout.
De peur sans doute d’être un peu trop court, Étienne Barillier adopte d’entrée une démarche bancale faisant le choix de traiter également de l’esthétique rétro-futuriste issue des roman-feuilletons, dime novels, pulps, et autres scientific romances, aparté nippon compris. Un choix un peu fourre-tout prêtant le flanc à la critique, du moins à une discussion passionnée.
Abondamment illustrée de visuels kitsch et agrémentée d’une esthétique surchargée à base de tuyauterie, boulons et engrenages, l’étude d’Étienne Barillier ne fait pas mentir la réputation de bel ouvrage voulue par Les Moutons électriques. On se trouve ici, non devant une somme, mais face à une tentative d’exploration d’un champ culturel pour le moins fluctuant. L’essai fournit par ailleurs, que ce soit dans le corps du texte comme en annexes, quantité de pistes à défricher. Ceci constitue une réelle valeur ajoutée au travail de recension de l’auteur. Côté fâcheux, on peut déplorer quelques tournures de phrase pesantes, des images parfois superflues – et même une photo pixelisée –, sans oublier les coquilles.
En introduction, Étienne Barillier rappelle le lien quasi-charnel entre le steampunk et l’âge de la révolution industrielle. Machine à vapeur, dirigeables géants, culte du progrès, steamers et mécaniques rivetées sont en effet des motifs incontournables du « genre » sur lesquels il est difficile de faire l’impasse. Il souligne la parenté avec l’uchronie et, reprenant la formule citée par Daniel Riche « le steampunk s’efforce d’imaginer jusqu’à quel point le passé aurait pu être différent si le futur était arrivé plus tôt », insiste sur le fait que l’Histoire s’apparente surtout à un coffre où puiser les jouets de fictions aventureuses et iconoclastes. Un générateur de sense of wonder, ici émerveillement au charme suranné provoquant immédiatement la nostalgie.
Enfin aux yeux de l’auteur, les icônes du steampunk acquittent un lourd tribut à de nombreux genres – fantastique, fantasy, roman policier – recyclant sans vergogne leur archétypes et stéréotypes. Pour Étienne Barillier, il ne fait aucun doute : le steampunk se situe à la confluence de plusieurs traditions littéraires et en cela s’apparente à une métafiction. Il apparaît ainsi qu’il se positionne en faveur d’une acception dans un sens large du « genre ».
Dans une première partie, intitulée « de la genèse à l’engouement », Étienne Barillier essaie d’abord d’établir la matrice des chimères steampunk. Exercice hautement acrobatique, on peut juger sa recension des œuvres du XIXe siècle éclairante, en revanche on est beaucoup moins convaincu par la phase de maturation, qualificatif choisi par l’auteur pour évoquer le proto-steampunk. Passons sur le cycle du Nomade du temps de Michael Moorcock, de Frankenstein délivré de Brian Aldiss et sur La Machine à explorer l’espace de Christopher Priest, encore que l’on puisse s’interroger sur le sentiment des trois auteurs britanniques quant à ce classement, pour afficher notre étonnement devant l’évocation du cycle de Gormenghast [*] de Mervyn Peake ou encore des Mondes de l’Imperium de Keith Laumer. De même, si Barillier résume efficacement la chronologie des événements conduisant à la naissance du terme steampunk, il ne sait sur quel pied danser par la suite pour lui donner une descendance, mélangeant uchronie et diverses déclinaisons de l’imaginaire populaire occidental et japonais.
La deuxième partie, intitulée « L’âge de la maturité », ressort surtout par son caractère de fourre-tout. Sans omettre aucun aspect de la culture populaire contemporaine, que ce soit les jeux vidéos, les films d’animation, les jeux de rôle, les séries télévisées, les films, les bandes dessinées et bien entendu les romans, Étienne Barillier établit une liste non exhaustive de toutes les œuvres se rapprochant de près ou de loin de l’esthétique steampunk, prise ici au sens large, c’est-à-dire rétro-futuriste. Une performance laissant un arrière-goût de joyeux bordel. Plus d’une fois, l’auteur est obligé de jongler avec les mots afin de faire rentrer toutes les œuvres citées dans le cadre qu’il a délimité. Autre paradoxe : à plusieurs reprises les auteurs interrogés avouent ne pas avoir eu l’intention de faire du steampunk. Il en résulte une impression très mitigée, d’autant plus que certains titres surprennent, on pense notamment aux romans de China Miéville.
La troisième partie, intitulée « être steampunk », donne un aperçu des performances ludiques et artistiques de quelques artistes et passionnés du « genre ». À réserver aux fans hard-core, il y en a plus qu’on ne le croit…
Sans surprise, le steampunk apparaît pour ce qu’il doit être : une recréation ludique et une récréation animée par une bande de sales gosses. Une blague prise au sérieux est devenue un genre à l’insu de son plein gré.
[*] Conscient de l’énormité de son affirmation, Étienne Barillier reconnaît que l’influence de la trilogie de Gormenghast sur le steampunk « n’est sans doute flagrante qu’à travers le filtre que procura au genre l’imaginaire d’un Michael Moorcock ». Si influence de Mervyn Peake sur Moorcock il faut rechercher, elle semble être davantage du côté de Gloriana que du Nomade du temps.
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