Peu d'écrivains savent plonger dans les profondeurs de l'intime avec autant d'acuité que l'Israélienne Zeruya Shalev. De ce point de vue, Douleur, son avant-dernier roman, reste indépassable et Stupeur ne peut prétendre à sidérer de la même manière. Le livre semble être le récit d'une rencontre, celle d'une nonagénaire, qui a combattu les Britanniques avant l'indépendance d'Israël, avec une femme approchant de la cinquantaine, fille de celui que la première a aimé plus que tout au monde, 70 ans plus tôt. Le début du roman laisse à penser que ces deux personnages vont se voir régulièrement et échanger sur l'homme qu'elles ont en commun, pour en reconstituer le puzzle. Sauf que non, car malgré ce lien, Stupeur va plutôt les laisser chacune aux ressassements de leurs souvenirs et à leur désarroi devant le sort qui ne les ménage guère. Pour qui connaît déjà l'écriture de Zeruya Shalev, l'ouvrage ne surprendra pas dans sa capacité à sonder encore et encore l'état mental de ses héroïnes, avec en particulier toute la dernière partie du livre, où après un deuil, l'une des deux se débat dans des méandres psychologiques que l'autrice développe sur un nombre de pages qu'il n'est pas déraisonnable de trouver excessif. D'autres pans du roman sont autrement plus passionnants, à commencer par l'évocation de la lutte radicale du mouvement Lehi, avant la naissance de l’État d'Israël, ou encore le poids de la religion dans la société actuelle. Il faut beaucoup de patience devant l'exigence des romans de Zeruya Shalev mais il y a beaucoup à apprendre sur l'histoire et le quotidien d'un pays qui suscitera toujours des réactions contrastées, y compris au sein même de sa population.