Stupeur et Tremblements par lioneldeveaux
Que "Stupeur et Tremblements" soit bien écrit, c'est indéniable. Amélie Nothomb a du talent, son style est léger, drôle en même temps qu'y transpire sa vaste culture (si on veut bien lui passer sa détestable manie d'ajouter l'expression "c'est le cas de le dire" après avoir fait un bon mot. Souligner ainsi un mot d'esprit, c'est lui faire perdre de sa force, comme lorsqu'on est obligé d'expliquer une blague... Nothomb a-t-elle peur à ce point d'être incomprise par ses ignares lecteurs ?)
Style agréable, donc, mais quel dommage qu'il ne soit ici mis au service que de l'amertume !
Amertume de l'expatriée qui, comme beaucoup de ses semblable, a mal vécu la fin de sa lune de miel avec son pays d'adoption, et le fuira dès que possible, faute d'adaptation.
Amertume de la salariée, confrontée à l'absurdité de la hiérarchie, des règles, du monde de l'entreprise.
Car, que l'on ne s'y trompe pas : la frustration qu'elle décrit est bien universelle, et non proprement nippone. Le rejet en bloc d'un pays est une phase bien connue de l'expatriation (phase dont beaucoup n'arrivent jamais à sortir), et quiconque a travaillé en entreprise sait à quel point Kafka y est présent à chaque coin d'open space — quel que soit le pays.
C'est cela que je reproche, au fond, à ce roman : il est perçu comme une charge contre le Japon... ce qu'il pourrait ne pas être. Il s'agit donc d'une volonté de l'auteur. Pourquoi ?
Certes Amélie Nothomb connaît manifestement le Japon à fond. Transparaissent, au détour du roman, sa culture, ses conversations avec les Japonais, les conclusions qu'elle en a tirées ; mais l'on comprend mal qu'elle en arrive à dissimuler sa frustration d'expat' en rupture sous une incompréhension feinte de ce pays et des racines de sa culture. Car enfin, puisqu'elle sait les raisons de ces traits culturels, pourquoi les masquer sous tant de fiel ? Pourquoi fantasmer cette histoire, et la faire passer pour vécue ?
On le voit au travers de sa relation avec Mori Fukubi, qui représente de manière assez peu subtile sa relation au Japon tout entier, Amélie Nothomb, malgré le mépris, malgré les humiliations, ne peut s'empêcher d'aimer, d'admirer, d'être fascinée par la beauté irréelle — du pays comme de la femme.
Si elle l'aime tant, le Japon, pourquoi cette charge contre une culture toute entière ?
On a comme l'impression que Nothomb tape sur son Japon chéri pour en éloigner ceux de ses lecteurs occidentaux qui n'iraient pas plus loin que ses écrit. Amélie serait-elle une amante jalouse, qui veut se garder le Japon pour elle toute seule ?
C'est peut-être la clé de ce roman : une Amélie Nothomb érotomane, dans un délire de relation amoureuse exclusive avec le Japon, lequel va jusqu'à lui envoyer des lettres longtemps après qu'elle en est partie.