Brouillard au-dehors, brouillard au-dedans.
Le plus grand fantasme de Phil Dick aura été d'écrire pour le "mainstream", de faire des livres pour grands. Du coup, il essayera de pondre, dans la douleur, le récit de ces dernières années où, frappé d'une révélation mystique, il tente de se rapprocher de Dieu, sans même se rendre compte que son "roman pour adultes", il l'a déjà écrit...
Dick a eu sa période drogue, comme toutes les grandes stars de la culture un peu underground de l'époque. Plus qu'un récit de science-fiction, Substance M. s'organise comme un témoignage, sous la forme de l'histoire de Fred et Bob Arctor. Dick nous livre, par couche successive, le délire de ces années d'insouciance où la prise de drogue était un jeu sans lendemain, un jeu où chaque partie était plus délirante que la précédente, jusqu'à l'heure fatidique où cela ne pardonne plus. Jusqu'à la page fatidique de la post-face, grand charnier de la drogue où s'étalent les noms des amis de Phil Dick, morts ou mourants, victimes autant que bourreaux de leurs propres jours.
Je m'excuse, je parle finalement peu du livre, mais pour moi, c'est le livre le plus abouti de Philip K. Dick. Sans doute son meilleur. Sans doute celui où il parvient le plus à concilier l'intention de son écriture avec un style sobre. Peut-être parce que pour une fois, sans orgueil, avec juste la volonté de se raconter et de raconter l'ambiance de ces années, il ne porte plus l'habit du romancier philosophe, moine guerrier dans l'horizon de la science-fiction, mais simplement celui de l'ami, du barde fidèle qui tient à narrer la saga de ses proches disparus en guise de dernier hommage. Peut-être, parce que cette fois, la science-fiction n'est que le prétexte, le moyen de transfigurer ses délires, de pousser jusqu'à l'extrême la schizophrénie de ses personnages et de toute une époque.
Et lorsque Bob Arctor perd son âme, ne la perdons-nous pas un peu avec lui ?