Aucun homme n'est une île
Jim est un homme malheureux, après deux mariages ratés il essaye de recommencer sa vie à zéro. Pour cela, il s'offre une parcelle et son chalet sur l'île de Sukkwan, en Alaska. Rien de tel qu'une année sabbatique pour réfléchir à ses erreurs et à ce qu'il désire vraiment. Cependant, il a un problème, malgré ses envies de solitude, il est incapable d'envisager la vie sans quelqu'un à ses côtés, il décide donc d'emmener son fils aîné dans l'aventure, sous prétexte d'approfondir le lien père-fils, effiloché avec la séparation. Roy est un garçon de treize ans, dégourdi mais pas causant, qui accepte de suivre son père sans enthousiasme, comme si son destin était déjà écrit. Dès le début de l'expérience, le jeune homme est très mal à l'aise, il n'y a strictement aucune intimité dans la nouvelle acquisition immobilière de son père, et il est à l'âge où les hormones se font entendre. De plus, chaque soir, il est forcé d'écouter son père gémir et sangloter, puis lui confier ses aventures extra-conjugales de plus en plus sordides, il lui est vite impossible de feindre l'indifférence. Il décide de trouver un moyen de quitter l'île et de retourner à la vie normale, quitte à devenir insupportable. Jusqu'au jour où, lors d'une randonnée en forêt, Jim tombe du haut d'un rocher sous les yeux de son fils...
J'ai failli passer à côté de ce livre, je me méfie toujours des bouquins à succès, et là les réactions étaient mitigées, les médias en disent du bien, mes indicateurs habituels ne sont pas forcément emballés...
Et puis, moi le nature writing, ça me fait chier. On n'échappe cependant pas aux descriptions dithyrambiques de pêche au saumon, à croire que si l'on a pas connu ça, on est passé à côté du paradis.
Toutefois, l'ambiance du roman équilibre bien la balance en posant un univers malsain dès les premières pages. Les rôles familiaux sont inversés, le père est égoïste et immature, son fils se rend compte petit à petit qu'il n'a pas le moindre sens des réalités et ni la pratique et encore moins la théorie pour la vie à la dure qu'il envisage.
Roy prend sur lui et aurait beaucoup à apprendre à la plupart des adolescents, d'ailleurs son self-control et sa débrouillardise m'ont paru tellement en inadéquation avec son âge que ça m'a plutôt énervée, mais par la suite, il révèle une part plus sombre de lui-même.
Vann fait une analyse intéressante du rapport à autrui, le lien du sang ne rapprochant pas plus les êtres qu'autre chose, comme on le voit dans son roman. Le père et le fils sont deux étrangers l'un pour l'autre, il montre ce qu'on peut cacher à l'autre, mais aussi à soi même. Aucun homme ne peut vivre sans la présence de ses semblables, cependant ils lui paraitront éternellement incompréhensibles. Il sonde les limites de notre esprit, de ce qu'on peut supporter, la solitude, la peur, le désespoir. Le format presque en huis clos, et la relative rapidité de l'action ne font que renforcer l'effet étouffant du propos.