Du vaudou, des pirates crétins et violents amateurs de nourriture exécrable, un Barbe Noire qui veut enlever de force une jeune femme qui peut lui donner la puissance qu'il convoite, un jeune homme déterminé qui se déniaise au cours de l'aventure, un vaisseau fantôme, des flashbacks traumatiques, des duels, une tête-boussole, des poulets... Pas de doute, Sur des mers plus ignorées fut une source d'inspiration majeure de Monkey Island, ainsi que de Pirates des Caraïbes.
Ce livre m'a bien davantage convaincu que Le palais du déviant. On retrouve une narration très dense, dans laquelle on n'entre que progressivement, car Tim Powers ne ménage que rarement des temps morts à l'action. Les 40 premières pages balancent la plupart des personnages en pleine action, sans contexte, dans une situation très confuse. Passé ce premier tunnel, les pièces du puzzle commencent à s'emboîter et l'on prend plaisir à suivre John Chandagnac alias Shandy, jeune homme enlevé par le pirate Philip Davieset qui finit par s'attacher à ses ravisseurs, tout en cherchant à s'enfuir avec une autre captive, la jeune Beth Hurwood, dont le père, un manchot torturé, semble jouer double jeu en poursuivant un but secret inavouable, accompagné d'un antipathique acolyte, le gros docteur Friend.
L'univers est très riche, ses règles ne se dévoilant que progressivement. Géographiquement, tout est très crédible : on commence dans les parages de Kingston, puis en Floride avec un dénouement en Jamaïque après un passage à Haïti. Politiquement, on se situe sur la fin de la piraterie, et certains hésitent à accepter la mesure d'amnistie promise contre renoncement définitif à la piraterie. Magiquement, surtout, on est dans le monde des loas (esprits avec qui on peut faire un pacte) et des bocors (sorciers). Avec un enjeu et un passage fort mémorable, quasi surréaliste, celui de la quête de la fontaine de Jouvence, sur les traces de Ponce de Leon, au coeur des Everglades. L'univers de la magie est difficile à appréhender, avec beaucoup de règles cryptiques (dans un duel de magie, le combat se situe dans un souvenir de celui qui se défend, l'histoire de l'aiguille de boussole et du fer, etc...).
La mer est magnifiquement décrite, tout comme ces hommes d'équipage qui ont le sentiment d'appartenir à une même confrérie, tout en étant des individualistes farouches, sans foi ni loi. Avec énormément de petits détails frappants, bien trouvés, liés à la vie du bord, comme ce pirate qui doit nettoyer le pont, qui dérape et jète des regards farouches tout autour de lui (alors qu'il n'y a personne) pour s'embrouiller avec le premier qui rigolerait. C'est très visuel, parfois je pensais à une BD ou un (bon) jeu vidéo.
Le vocabulaire maritime et celui de l'escrime sont précis (la traduction rend d'ailleurs hommage à cette technicité), sans que cela puisse être un problème pour suivre.
Si j'avais une critique à faire, c'est le schéma récurrent du héros-qui-doit-sauver-le-monde en se jetant dans une entreprise suicidaire. En rester à une touche Stevenson avec un peu de vaudou aurait largement suffi. Il y a un duel de sorcier qui ne déparerait pas dans du DBZ, et dans la séquence finale, haletante jusqu'aux derniers paragraphes, le héros encaisse un nombre de situations désespérées ahurissant. On peut aussi déplorer que le personnage féminin soit souvent dans le stéréotype de la princesse de jeux vidéos. Bon, fin des années 1980, c'est l'époque qui voulait ça.
Sur des mers plus ignorées est un bon roman d'aventure mêlant vaudou et piraterie, avec des retournements à la pelle, beaucoup d'action, et une écriture assez dense.