Ouvrage de science politique qui vise à déterminer l'origine de l'antisémitisme qui allait conduire aux charniers de la seconde guerre mondiale.
Pour commencer, Arendt récuse l'opinion courant qui identifierait l'antisémitisme du XXI siècle avec l'antisémitisme originel qui aurait commencé avec le mythe de la mort du Christ assassiné par les juifs et qui aurait continué au Moyen-âge avec la stigmatisation des juifs usuriers. Quelles que soient les motivations de ce choix audacieux (volonté de provoquer?), Arendt développe ainsi la thèse d'un antisémitisme politique qui serait né au XIXè siècle parallèlement au développement de l'Etat-Nation.
Pour résumer les grandes lignes:
- Avec le développement des Etats Nations et des notions d'égalité des citoyens, les juifs auraient perdu leur particularité de "juif", tout en gardant leurs activités traditionnelles dans la finance et donc leurs richesses: ce faisant, ils auraient attiré une jalousie et une rancune durable de leurs concitoyens.
- La posture particulière des juifs entre assimilation et préservation de leur identité communautaire: les juifs sont toujours vus comme un corps étranger à la nation, tant bien que mal intégré: tour à tour parias, parvenus, assimilés, curiosité de salon, fréquentables, leur judéité leur confère toujours un exotisme qui à certaines époques les sert ou dessert, mais qui en fin de compte les rendent toujours "différents" de leurs concitoyens.
- Le manque de solidarité entre les juifs, notamment entre les riches juifs du monde la finance traditionnelle et les juifs plus pauvres d'Europe de l'est, qui les empêche de former une communauté soudée.
- Le refus de prendre part à la politique: bien que formant une élite économique, les Juifs n'ont jamais voulu participer au jeu politique (malgré les fantasmes antisémites les montrant tirant les ficelles du pouvoir), les empêchant ainsi de défendre au mieux leur cause.
Ouvrage solide et très accessible. Néanmoins, je n'ai pas forcément été convaincu par l'intégralité des thèses de Arendt. Ainsi, hormis pour les populations prussiennes et polonaises, elle prend pour acquis le fait que les juifs formaient une élite économique, par exemple en France. Mais la majorité des juifs français du XIX n'étaient pas banquiers chez Rothshild !