Au Panthéon des œuvres mythiques de la littérature, on trouve "Sur la route" de Jack Kerouac et comme la plupart des livres qui trônent dans la grandeur de cet olympe, celui-ci fait généralement peur aux lecteurs. Je n'échappe pas à cette règle et "Sur la route" a traîné bien longtemps dans ma PAL avant qu'une lecture commune ne l'en exhume.
Je m'en félicite car j'ai vraiment beaucoup apprécié cette expérience, ce road trip tous azimuts qui se fait dans un délire halluciné, sur lequel souffle le vent de la libre-pensée, de la remise en question des acquis sociétaux, et draine dans son sillage de folles espérances et de déraisonnables utopies.
J'ai lu le "rouleau original" où les protagonistes portent leurs vrais noms et non des avatars. Neal Cassady, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs et quelques autres parmi les écrivains de la "beat generation". Déconcertant et instructif, aussi excessif que transgressif, le lecteur est entraîné dans une ronde d'alcool, de drogues, de fumettes, de débauches mais aussi de fulgurances géniales et de musique.
"Sur la route" est sans doute le premier roman avec playlist intégrée et qu'il faut écouter avec du jazz, du bebop et du mambo dans les oreilles. Ce roman ne ressemble à aucun autre et je vais y aller de mon petit lieu-commun en disant que la Route est bien sûr le personnage principal, avant l'auteur-narrateur ; les deux traversées aller-retour d'Est en Ouest et la traversée aller-retour d'Est au Sud que nous proposent Kerouac, avec pour point névralgique Denver, Colorado, nous font découvrir une Amérique de l'errance, des grands espaces, des villes en ébullition, et nous mettent en contact intime avec une jeunesse en roues libres.
De mon point de vue, Jack Kerouac, bien que narrateur, n'est pas le pivot du roman ; ce rôle revient à Neal Cassady, le poète fou, le chat aux neuf vies, le sybarite fauché, le jouisseur éternel, le cauchemar des bonnes gens, l'antithèse du gendre idéal. Mais il est aussi prétexte à une démonstration inouïe de la fidélité en amitié, de la quête absolue d'un idéal, de la quête de racines et du rejet de l'ordre établi. C'est un personnage effrayant et fascinant qui, en quelque sorte, cloue notre propre existence au pilori.
On aurait tort de croire que "Sur la route" par dans tous les sens ; la Route constitue une trame, un fil d'Ariane fait de milliers de kilomètres qui se déroulent dans un ruban infini à travers déserts, jungles, montagnes, littoraux, villes. Il est inutile d'y voir une quête, le plus souvent Jack Kerouac ne cherche pas à atteindre une destination mais il suit un instinct de survie constitué de quêtes diverses, de fuites, d'égarements, de retrouvailles, de réunions, de séparations, de rendez-vous manqués... Le rythme est effréné, endiablé, d'autant que le style oral, sans paragraphes ni chapitres, peut clairement déstabiliser le lecteur.
Ce voyage parfois éprouvant m'a emballée, dépaysée, interrogée, chahutée mais si vous êtes un lecteur qui n'aime pas se perdre en chemin, alors suivez mon conseil, restez prudemment au bord de la Route.