Sans conteste, " Sur les falaises de marbre " est mon oeuvre favorite de Jünger. Loin du fracas de ses premiers romans, cette oeuvre, empreinte de poésie, à l'écriture ciselée, est une allégorie de l'époque funeste que nous traversons, époque que Jünger avait pressenti bien avant son avènement actuel. Dans son oeuvre, si la Marina s'effondre emportée par la barbarie et les flammes, les héros trouvent refuge dans l'Alta-plana. Où trouverons-nous refuge dans les temps incertains qui s'annoncent ? La réponse est d'ordre spirituelle et l'évocation de la figure du rebelle est une réponse. Face à la destruction Jünger nous invite à nous tourner vers l'indestructible, notre propre nature, inaltérable et lumineuse. Est-ce un abandon du monde ? Nullement. Il s'agit, tel l'océan profond, où l'immobilité demeure, de se positionner de telle sorte que tout ce qui s'élève au sein du monde et qui doit inéluctablement s'effondrer, comme les vagues de l'océan, ne nous atteigne pas. Il ne s'ait pas non plus de détachement ou de renoncement. Tout ce qui s'élève est semblable aux images d'un film projeté sur un écran blanc. Cela se produit mais l'écran demeure toujours blanc car les images y s'y dissolvent les unes après les autres, sans pour autant affecter la blancheur immaculée de l'écran. Jünger avait compris que telle est l'essence de notre monde : une fantasmagorie où même les plus anciennes institutions, où ont été érigées en modèles les plus nobles valeurs, finissent toutes par être détruites, quelque soit la cause de la destruction. Seul l'esprit, " L'Alta plana ", au sens spirituel du terme, c'est à dire notre propre nature, est le refuge fiable. En notre époque où la civilisation occidentale s'écroule, où les valeurs ancestrales sont bafouées, reniées ou inversées, la lecture de ce roman peut être un guide vers cette compréhension.
Il est par ailleurs rare de rencontrer un livre qui allie style et profondeur de récit. « Sur les falaises de marbre » de Jünger conjugue à merveille ces deux aspects.
Si le récit n'est pas en soit extraordinaire le texte est d'une splendeur ciselée.
Outre la précision de l'écriture, la fluidité du langage et sa musicalité, le lecteur sera plongé dans un récit allégorique intemporel dans lequel seront mis en perspective les enjeux de notre époque actuelle. le déclin sournois de la Marina où les rites et les rituels ont perdu peu à peu toute signification pour ne devenir que des coquilles vides, la pénétration lente et diffuse d'une influence extérieure pernicieuse et destructrice, l'effondrement des valeurs traditionnelles, remplacées par une vue nihiliste du monde, purement utilitaire et, au final, la destruction et le chaos.
Allégorie du régime d'Hitler ou de tous les régimes totalitaires, quels qu'ils soient violent et répressif ou sournois, déguisés en une démocratie qui n'en est plus une.
Quoi qu'il en soit, le lecteur avisé comprendra la portée de ce texte éclairé par la luminosité poétique du langage de Jünger.
Le texte peut être lu de bout en bout, ou par extrait selon l'envie tant les descriptions y sont précises et poétiques.
A lire et à déguster au coin d'un bon feu de bois.