D'une certaine façon, on peut comprendre pourquoi ces mémoires de Richard Fleischer ont mis autant de temps à être traduites ; près de 30 ans ! Car, comme le précise François Guérif dans sa préface, c'est plus un livre de souvenirs, sans réelle chronologie, où chaque chapitre est consacré à une personne, et Fleischer va ainsi parler du film en question.
Dans sa filmographie longue de plus de quatre décennies, c'est un réalisateur qui assumait parfaitement le fait d'exécuter des commandes, et ça ne le dérangeait pas plus que ça de ne pas être à l'origine des projets, pourvu qu'il puisse travailler. Car, après une première période à la RKO où son Énigme du Chicago Express va faire forte impression, il va poursuivre pour travailler chez l'ennemi Walt Disney (car son père, Max Fleischer, créateur de Betty Boop, était un rival) avec 20000 lieues sous les, engager un contrat de plusieurs années avec la Fox, et au final travailler là où on lui disait d'aller, même si ça sera en Europe durant plusieurs années.
Fleischer gardera toujours une certaine humilité, mettant toujours le talent de son équipe artistique avant la sienne, qui était réputé pour rendre ses copies à l'heure, pour pas très cher, et avec de gros succès, comme ça sera le cas avec Les vikings.
Le livre comprend des chapitres consacrés pêle-mêle à John Wayne, Darry Zanuck, Kirk Douglas, Rex Harrison, Orson Welles, Akira Kurosawa, avec des anecdotes fort savoureuses, mais sincères, avec un désir de Fleischer de ne pas être dans la moquerie, mais dans l'empathie. On peut citer par exemple que le Duke devait faire caca avant chaque journée de tournage au risque de retarder le travail, Kirk Douglas et son égo surdimensionné, Akira Kurosawa qui avait lui aussi un énorme boulard au point qu'il pensait que sa réputation (méritée) de génie pouvait tout lui permettre sur le tournage de Tora ! Tora ! Tora !, Orson Welles qui essayait de prendre le pouvoir sur Le génie du mal, Darryl Zanuck qui laissait tout passer à sa fiancée du moment Juliette Greco, la surdité d'Edward G.Robinson qui tournera avec Soleil Vert son dernier film, ou encore la cupidité de Laurence Olivier sur Le chanteur de Jazz, dont chaque journée supplémentaire de tournage lui rapporterait une véritable fortune et ainsi un des scénaristes de L'étrangleur de Rillington Place qui était obsédé par ... la longueur du sexe du personnage joué par Richard Attenborough !
On ne peut pas dire que Fleischer analyse son cinéma, l'interview de Michel Ciment ajoutée étant plus complète sur le sujet, notamment son amour du Cinemascope, certains films sont évincés, mais c'est avant tout des portraits admiratifs de la part d'un homme ravi d'avoir pu faire ce métier, avec ses hauts et ses bas.
Bien que ça soit un peu trop court au final, 450 pages en incluant l'interview, la préface et la postface d'Alain Fleischer, un de ses cousins, Richard Fleischer est l'occasion de mettre en avant ce réalisateur formidable, qui a toujours travaillé sans prétention aucune, et dont la liste des grands films laisse pantois, travaillant dans divers genres.