Je me plonge pour la première fois dans l'univers de cette grande figure du 19ème siècle et je ne peux que vous conseiller de lire ce livre très court. Il le faut absolument. Pour votre bien, pour l'éveil de vos sens et parce qu'un chef d'oeuvre de littérature comme celui-ci doit impérativement être lu avant que vous ne vous fassiez éclater la trombine par le pare-choc d'une diligence lancée à toute berzingue.
Au-delà du sujet du livre, dont les nuances sont riches et foisonnantes, il y a le pouvoir des mots qui illumine chacune des phrases de l'écrivain. Un homme (Nerval ?) est amoureux de deux femmes à la fois, douce mélancolie d'une dualité vouée au désamour désavoué. Et derrière ça, il y a de la prose, de la poésie, des images en tête à chaque description, des métaphores absolument ahurissantes, il y a un génie, Nerval, qui enchante chaque page d'un style certes insolent mais terriblement grandiose. Il fait chanter les mots avec une grâce lumineuse.
C'est l'une des rares fois, après avoir refermé un livre, que vous aurez envie de l'ouvrir à nouveau pour saisir ce que vous n'aviez pas saisi, pour imaginer les peintures, les détails, le sens des mots manqués à la première lecture. Je me plonge dans Aurélia très vite, et en attendant vous conseille fortement de découvrir vous aussi Sylvie, superbe hommage à la littérature des cœurs s'il en fallait un.
On s'assit autour d'elle, et aussitôt, d'une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celle des filles de ce pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d'amour, qui racontent toujours les malheurs d'une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d'un père qui la punit d'avoir aimé. La mélodie se terminait à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des aïeules.
(Proust dit de lui que le passé et le présent se mêlent tellement et admirablement bien qu'il faut à chaque fois revenir en arrière pour saisir l'étendue de ce qu'on lit. Si même Proust, magicien du détail, dit cela, c'est qu'il n'avait pas complètement tort, le bougre.)