Le premier ouvrage d'un auteur de littérature est par essence crucial. Il révèle souvent les sujets et le style, du moins les prémisses, qui formeront son œuvre complète. C'est exactement ce que nous pouvons constater avec Taïpi, le premier livre de Herman Melville, l'illustre écrivain américain du XIXème siècle à qui nous devons le magistral roman d'aventure Moby Dick. Melville a 27 ans quand il publie Taïpi, dont l'histoire fascinante est vraie.
L'écrivain nous narre les trois mois qu'il a passés dans les îles Marquises (qui forment aujourd'hui un des cinq archipels de la Polynésie française), plus précisément dans la baie de Taïpi, Taïpi qui signifie "en dialecte marquesan" "amateur de chair humaine", à la suite de sa désertion - avec son compagnon Toby - du baleinier sur lequel il travaillait. Les deux protagonistes sont captifs de la population autochtone, mais on nous raconte, avec la précision du courant romantique, comment le séjour ne fut en aucun cas désagréable. En effet, les "amateurs de chair humaine" ont, contre toute attente, un comportement que nous pouvons qualifier d'accueillant.
Personnellement, j'ai retrouvé, au début de ce récit, le style enthousiaste de Melville. Un style d'une verve rarement égalée mais qui cède place à davantage d'exposition pure au fil des chapitres, car de son aventure découlent des considérations intellectuelles à propos des "habitants de la vallée", ainsi que des descriptions littéraires de leur mode de vie. Le texte de Melville n'est ni ethnologique, ni anthropologique ou autres... Ses réflexions sont personnelles ; il ne peut s'empêcher, par exemple, d'effectuer des comparaisons entre son Amérique et Taïpi, pour constater finalement que la vie dans la baie est bien plus satisfaisante. Ses observations ne sont pas dénuées d'intérêt. On retrouve, d'une part, des éléments historiques (comme, par exemple, l'annexion des îles par les français), et d'autre part, leur critique exercée par l'esprit passionné de l'auteur.
La narration, pour y revenir, se compose de paragraphes très structurés et qui recèlent de nombreux adjectifs parmi des mines de vocabulaire. C'est plaisant, d'autant plus que la lecture en demeure fluide.
Le seul aspect négatif que je trouve à signaler n'est pas vraiment négatif à proprement parler ; le projet de Melville en écrivant ce livre était simple : il s'agissait de raconter ce qu'il avait vécu, et ce projet a été évidemment respecté. Or, pour le lecteur, il pourra être difficile de se plonger pleinement dans le récit car, ce dernier est, par conséquent, à la fois privé de toute forme d'intrigue principale et éminemment riche en description. Il s'avère donc long à lire par moment. Malgré cela, je me figure que bien des lecteurs sauront apprécier l'ouvrage, à commencer par les inconditionnels de Melville, ceux qui ne jurent que par la littérature romantique du XIXème siècle ainsi que les papivores de péripéties se déroulant en milieu insulaire.