Ce livre, à n'en pas douter, ne se lit pas n'importe où, n'importe quand, et n'importe comment.
Une écriture d'une densité incroyable, avec des phrases longues, qui digressent entre deux virgules, qui donnent une respiration tendue et glissante à la fois. Comme un corps trempé de pluie qui a des frissons électriques. Parce qu'on est trempés constamment dans ce livre. Krasznahorkai parvient incroyablement bien à décrire le petit village de Hongrie paumé, la boue, la pluie, le froid, le poêle dans le bar crasseux, les verres de palinka que les habitués s'enfilent les uns derrière les autres, les vitres embués derrière lesquels des yeux observent, le craquement du bois. Immergée complètement dans l'atmosphère, l'auteur donne une vraie vie palpable à ce livre.
Quelques bémols sur la longueur de certains passages, où il part dans des sortes de longues explications-descriptions, où il semble se faire plaisir avec des scènes, certes bien décrites, mais qui finissent par manquer d'originalité (des personnages de ratés aigris et enfermés dans leurs existences qu'on a déjà croisés des millions de fois, des séquences de paperasseries qui pourraient être tellement drôles si elles ne sentaient pas le réchauffé...).
Du coup, un léger ennui peut s'installer, mais pas longtemps (parce que ça colle dans l'écriture, ça garde, ça imprègne de l'ambiance, c'est poisseux à ne pas pouvoir s'en détacher) et parfois même, je me suis retrouvée perdue dans des phrases dont je ne voyais pas le bout, et ne comprenais pas le but.
N'empêche que Tango de Satan creuse dans le plus écœurant de l'humanité. Peu, très très peu, de moments où on respire gaiement, où la légèreté s'installe. Le seul personnage qu'on a envie de sauver, qui semble pur et doux, finit par massacrer un chat et mourir en quelques pages. Rien n'est à sauver dans ce livre, et surtout pas les hommes et les femmes.
Ils sont tous mauvais, menteurs, avares, envieux, cruels, égoïstes, opportunistes, mous, et crasseux.
Limite, je finissais par être contente de les voir foncer dans le mur.
Krasznahorkai arrive incroyablement à donner corps à ses personnages, et à ces lieux. Avec, en plus, une pointe de surréalisme, d'onirisme, qui surgit, et se mêle à un réalisme terre-à-terre qui finit par devenir une sorte de conte moral, voir d'un passage biblique.
En tout cas, si je ne me précipiterais pas sur le prochain livre de Krasznahorkai (quelque chose fait que je sens que ce n'est pas "mon" univers), je suis très contente d'avoir découvert cet auteur.