Le camp du traumatisme
Comment un traumatisme d'enfance se transforme t-il, une fois atteint l'âge adulte, et comment en distinguer la réalité des distorsions que la mémoire a échafaudé ? Eduardo Halfon, qui ne cesse de...
le 8 janv. 2025
L’écrivain guatémaltèque Eduardo Halfon revient sur un épisode traumatisant de son enfance dans un livre troublant à la lecture hypnotique.
En 1984, alors qu’il n’a pas treize ans et que, sa famille ayant fui le Guatemala deux années plus tôt, il vit en Floride, le jeune Eduardo est envoyé avec son frère cadet dans un camp de survie pour enfants juifs, en pleine jungle guatémaltèque. Leurs parents entendent ainsi leur rappeler leurs origines. Ils ignorent que les encadrants ont à cette fin décidé d’organiser le camp de manière concentrationnaire et, pour bien clouer leur identité juive dans la tête des enfants, de leur faire concrètement expérimenter ce que terreur nazie veut dire.
Réveillé par des cris dès l’incipit ouvrant sur le premier matin, le jeune narrateur découvre sur le bras du chef Samuel Blum ce que, dans son effarement, il prend d’abord pour une énorme tarentule, mais qui, à y mieux regarder, s’avère une croix gammée. Choqué par les actes d’humiliation et de terreur qui se multiplient, le garçon finit par prendre la fuite et se perd seul dans les inhospitalières montagnes de l’Altiplano, à plusieurs heures de marche de toute zone habitée. Sa survie n’a décidément plus rien d’un jeu. A la stupeur hallucinée initiale succède la panique en milieu hostile et inconnu.
« Pourquoi obliger des enfants à éprouver ces souffrances et cette peur, à vivre ce cauchemar ? » Et qui est au juste ce Samuel Blum ? Ce n’est que bien des années plus tard, alors qu’établi à Berlin, il y reconnaît une camarade du camp et que, grâce à elle, il se retrouve face à cet homme, que le narrateur a enfin l’occasion de poser ces questions qui le taraudent. A la frontière de la paranoïa entre traumatisme, ressentiment et transmission d’une insurmontable mémoire, les réponses qu’il obtient ont tout pour ouvrir de nouveaux abîmes d’angoisse et d’interrogation : sur l’héritage de la Shoah, sur l’antisémitisme encore aujourd’hui, sur l’auto-ghettoïsation des communautés juives soucieuses de se resserrer dans les pays où elles vivent, sur ce que peut représenter d’être juif à Berlin où les traces du passé sont partout, enfin sur l’identité quand, au final, c’est auprès d’Indiens, dans un stoïcisme endurant et mutique éloigné des cris et de la guerre, que le personnage du roman trouve réconfort et protection.
Cousue des mille éclats d’une mémoire douloureuse, cette autofiction haletante et tourmentée, presque une histoire d’horreur, se lit en un seul souffle de sidération pour finalement ouvrir, avec justesse et sincérité, quantité de questions sur la religion et sur l’identité. Un très grand coup de coeur.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
il y a 5 jours
Critique lue 15 fois
3 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Tarentule
Comment un traumatisme d'enfance se transforme t-il, une fois atteint l'âge adulte, et comment en distinguer la réalité des distorsions que la mémoire a échafaudé ? Eduardo Halfon, qui ne cesse de...
le 8 janv. 2025
Du même critique
En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...
Par
le 14 sept. 2023
20 j'aime
6
Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...
Par
le 7 sept. 2022
18 j'aime
4
Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...
Par
le 20 mai 2020
18 j'aime
7