Technique du coup d’état est un ouvrage culte dans les milieux « non-conformistes ». J’ai donc lu ce livre par curiosité, essentiellement parce qu’il traite d’évènements historiques qui m’intéressent (octobre 17, l’échec de Trotski contre Staline, l’arrivée au pouvoir de Mussolini) et d’autres sur lesquels je n’avais qu’une connaissance très vague (le coup d’état de Primo de Rivera) voire inexistante (la guerre russo-polonaise de 1920, le coup d’état de Pilsudzki). Aussi, les auteurs au parfum de scandale m’ont toujours attiré : Malaparte, « fasciste de 1919 », déçu de Mussolini, virulent anti-hitlérien, emprisonné, puis passé à la lutte anti-fasciste (il fait partie de ceux qui ont fini par renverser Mussolini) sans devenir de gauche pour autant, avait un parcours suffisamment tortueux pour m’attirer dans son labyrinthe.


Contrairement à ce que j’ai pu lire, le grand modèle de ce livre n’est pas Machiavel. Le point commun avec Machiavel, c’est la séparation radicale entre morale et politique. Il n’y aura pas de morale dans ce livre, aucun jugement sur les programmes révolutionnaires de Lénine, Trotski, Staline, Bonaparte, Primo de Rivera, Pilsudzki, Mussolini, Hitler. Cette absence de jugement fait une partie de la saveur du livre : on sait que Malaparte a participé à la montée du fascisme, mais rien n’en fera mention, puisque ce livre signe son éloignement du fascisme. Le passage avec Israël Zangwill lors du coup d’état des chemises noires en Italie donne ainsi l’impression d’un Gustave Flaubert et d’un Maxime du Camp observant février 1848 d’un œil distant et analytique (sans l’ironie, néanmoins, des deux compères) : des intellectuels en goguette qui vont observer un évènement historique et en tirer des leçons avant même qu’il soit fini.


Mais, au niveau de la réflexion politique, on ne peut pas dire que ce livre soit exceptionnel. Il invente certes une distinction canonique entre programme révolutionnaire et technique insurrectionnel, mais c’est à peu près tout. Certes, cette distinction est éclairante, a fait fureur et fait désormais figure de classique conceptuel. Mais on est bien loin de la finesse machiavélienne.


Le vrai modèle de ce livre, c’est Plutarque. La méditation politique est prétexte à la présentation d’individus historiques et surtout à la constitution de leurs « Caractères », de la manière dont ils incarnent, non pas des idées, mais des types psychologiques de « Princes ». C’est aussi le prétexte au récit des évènements historiques. A ce jour, le premier chapitre est ce que j’ai lu de plus haletant sur Octobre 1917. Non pas de plus profond, mais de mieux écrit. Sans qu’on sache pourquoi, on tremble à chaque page. Tout va très vite, les descriptions sont expédiés, et tout d’un coup l’auteur nous fait entrer dans le point de vue interne de tel ou tel personnage (Lénine, Mussolini, etc.). La première puissance de ce livre n’est pas philosophique, mais littéraire. Sans doute le Caractère de Trotski ne correspond pas exactement au Trotski historique, mais on peut le dire comme un simple morceau littéraire –et un bon.


La puissance, dans ces Caractères, provient entre autres du fait que le cœur des portraits est toujours une faiblesse du personnage historique. Dans tous ces Caractères, il y a une dimension satirique. On voit ainsi Bonaparte, entre le 18 et le 18 Brumaire, non pas conquérant génial ou tyran affreux, mais impétueux jeune général, bouffi de sa propre éloquence mal digérée dans les classiques, tremblant de ne pouvoir réussir, toujours menacé de l’échec (et l’échec aurait été mérité, puisque ce coup d’état l’emporte essentiellement par la chance –surtout par la médiocrité des adversaires). Lénine timoré, Trotski n’ayant rien à foutre des masses et voulant juste prendre le pouvoir, Mussolini hypocrite et ultraviolent, Hitler femmelette jalouse et résolvant son infirmité de caractère par une violence stupide.


Deux défauts néanmoins :
- Malaparte se répète sans cesse, assène sa thèse à énormément de reprise, comme si le lecteur était idiot (mais le lecteur est peut-être idiot, que sais-je ?).
- surtout, il passe son temps à se mettre en scène, dans la Préface et la note 1948 notamment, répétant deux fois que son portrait d’Hitler est « saisissant d’intuition ». La Préface de 1948 est ainsi un beau morceau d’autobiographie, mais aussi une apologie toute ronflante.


Le livre permet aussi, au niveau historique, de se replonger dans des évènements plus ou moins ignorés (le coup d’état de Primo de Rivera, la guerre russo-polonaise, le coup d’état de Pilsudzki, la République de Fiume menée par D’Annunzio, etc.). Son intérêt, à ce niveau, est qu’il présente les « années de plomb » de l’intérieur (de 1917 à la date d’écriture (1931), années qui se termineront par le plus grand massacre de l’histoire humaine), sans étudier ses années en fonction de leur fin. Puisqu’il écrit en 1931, qu’il a été témoin de plusieurs des évènements décrits ou a connu des témoins de première main, il peut montrer ces évènements dans leur apparition, leur nouveauté, et non dans une grande chaîne qui mènerait à la Seconde Guerre Mondiale.


C’est donc bien un livre important.

Créée

le 18 mai 2018

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