Les eldorados ne sont qu’inventions et leur conquête un vain mensonge.

Echappée de l’univers de la bande dessinée pour une première incursion en littérature, Bénédicte Dupré La Tour propose une vision désenchantée de ce qui ressemble à la Conquête de l’Ouest dans un roman choral où le sang le dispute à la boue.


Tous les archétypes sont là : une prostituée, un chercheur d’or, un soldat déserteur, un révérend, des indigènes nomades, l’épouse d’un propriétaire terrien, une asservie et des migrants lancés dans leurs chariots à la conquête de nouveaux territoires. Pourtant, aucune date, aucun nom de lieu, ni même aucun terme ne permet d’affirmer que nous sommes en plein western. Surtout lorsque les colons ont la peau noire et l’asservie une « peau de lune ». Inversant les clichés dans un récit où, en fait de conquête, tout n’est en réalité que bourbier, l’auteur s’emploie à débarrasser notre mémoire de ses distorsions pour une peinture sans concession de ce qui s’avère ni plus ni moins qu’une désastreuse entreprise d’invasion et de colonisation.


Ils sont donc une poignée de personnages, tous des petites gens mus par l’espoir d’améliorer leur sort, à prendre vie, chacun leur tour, dans une série d’histoires, à première vue indépendantes, mais qui s’entrecroisent en un faisceau de destins tous aussi catastrophiques les uns que les autres. Amour à l’abattage ou cannibale, folie de l’or ou de la guerre, transfuge de race amoureux ou militaire : tous ces parcours individuels égrènent les couplets de la désillusion, du désespoir et du malheur dans une traversée des enfers ponctuée, tel un refrain, par les courriers qu’avant sa pendaison, un soldat déserteur envoie à ses proches pour y solder ses comptes. Se superposant peu à peu comme autant d’images, tous ces épisodes – ces mauvais rêves, voudrait-on dire –, dessinent un paysage de désolation dont nul ne sort indemne, ni envahisseurs, ni envahis, comme si toute conquête était de toute façon promise à l’échec.


Facile à lire, vivant et immersif, ce livre qui, lu rapidement, pourrait sembler se fondre dans la masse indistincte de tant d’autres ouvrages seulement agréablement romanesques, prend tout son relief dans ses motifs cachés, tissés en transparence pour une déconstruction de nos indécrottables fantasmes : les eldorados ne sont qu’inventions et leur conquête un vain mensonge.


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Cannetille
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le 15 déc. 2024

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