Ouvrage de philosophie pratique de la réciprocité.
Parfaitement documenté, lisible et pertinent dans ses réflexions, "Théorie du Drône" tient les promesses affichées en quatrième de couverture. Le constat théorique, fondamental, simple et essentiel est de dire : le drône pose un problème de réciprocité. L'enjeu du drône est la disparition de la réciprocité - dans le conflit armé lui-même puisque les cibles du drône ne peuvent répondre aux tirs en tuant un homme, celui-ci pilotant l'engin depuis l'autre bout de la planète... mais ce problème de réciprocité se propage à toutes les sphères entourant la guerre, c'est-à-dire à toute la culture.
La fin de cette réciprocité pose un problème de sens : l'ethos de la guerre se base sur celle-ci. Si l'ennemi n'a pas de moyen de répondre à l'agression, ce n'est par définition pas une guerre, c'est une chasse, un abbatage, etc. Ainsi les catégories juridiques sont-elles perturbées. Les catégories morales aussi, par voie de conséquence. Qu'est-ce qui est juste, légalement et moralement, en abense de réciprocité ?
Enfin l'auteur abord aussi un excellent volet peu discuté d'ordinaire, qui est celui de la définition de l'homme que se donne à elle-même une civilisation qui se rêve "drônisée". Un monde où tout esprit critique de trouve a priori contredit par la finesse technique des agents. Quel écologiste pourra reprocher à un drône de tuer des forêts, puisqu'il ne vise que des zones limitées ? Quelle famille pourra protester contre la guerre après avoir perdu un fils au combat, puisqu'aucun soldat ami n'y tombera ? La distanciation totale d'avec la réalité de l'action se fait sentir à l'horizon, qui promet d'affaiblir les registres de justification de la guerre. Puisqu'il suffit d'y envoyer un jouet, c'est vite fait et ne rencontre aucune opposition populaire de masse. Bienvenue dans l'ère du relativisme humain.
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