Paru en 2013 aux éditions La Fabrique, cet essai du philosophe Grégoire Chamayou (également traducteur de l’excellent essai de Jonathan Crary «24/7, Le capitalisme à l’assaut du sommeil») a pour ambition de soumettre les drones armés volants, engins de surveillance volants transformés en «chasseurs-tueurs», à un travail d’investigation philosophique, car ces engins utilisés de plus en plus massivement par les États-Unis depuis la fin des années 2000, pour des chasses à l’homme militarisées essentiellement préventives, ont transformé la guerre, souvent asymétrique, en un combat absolument unilatéral, où l’ennemi, menace potentielle frappée en général sur la base d’agissements observés et apparaissant comme déviants et hostiles (pour des individus dont on ne connaît pas toujours l’identité), est réduit avec cette nouvelle arme au statut de simple cible.
Au-delà des arguments éthiques, Grégoire Chamayou explore les conséquences historiques, politiques, juridiques qu’impliquent l’utilisation de ces drones, les failles d’une arme qui peuvent se retourner contre ses concepteurs, et les effets contre-productifs de cette forme de combat qu’on ne peut plus appeler guerre, car elle rompt avec les modèles, catégories et notions connues de la guerre, et s’effectue hors de tout cadre du droit international.
Un des effets contre-productifs du combat « dronisé » (rendu, dans toute la complexité des conflits dans lesquels il s’inscrit, dans le «Pukhtu Primo» de DOA) est l’exaspération et la haine, qui peuvent conduire les populations menacées ou frappées par les drones vers des groupes extrémistes apparaissant comme «moins odieux qu’un ennemi sans visage qui fait la guerre à distance et tue souvent plus de civils que de militants». En négligeant sciemment l’opinion des populations locales, la lutte antiterroriste exclut tout traitement politique du conflit, et laisse entrevoir, avec cette forme de combat qui forme un surprenant miroir de l’horreur au terrorisme, la menace d’une violence sans fin, car sans résolution.
Peu évoqués en France, les drones font l’objet de débats intenses aux Etats-Unis, et les stratèges américains, avec les marchands d’armes, cherchent à justifier leur utilisation en les présentant (au-delà de leur faible coût, qui induit un risque de prolifération) comme une arme humanitaire, car ils sauvent des vies, et en particulier celles des militaires américains, qui de fait selon cet argument valent (beaucoup) plus que celles des civils d’un autre pays.
Un livre hautement stimulant, et même indispensable pour quiconque s’intéresse à l’art de la guerre, à l’actualité internationale et bien au-delà.
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