Noirs dessins
Thérèse Raquin est un roman glauque et d'une noirceur abyssale. Aucun des personnages ne suscite l'attachement ou la pitié, peut-être un peu Thérèse au début, mais l'on ne peut s'empêcher de penser...
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le 9 août 2013
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Oeuvre de jeunesse de Zola, Thérèse Raquin est son premier coup d’éclat. Le premier roman qui révèle la marque du maître et qui montre ce que deviendront prochainement les Rougon Macquart. En effet, beaucoup d’éléments du génie de Zola et de ses habitudes d’écritures se retrouvent ici.
Thérèse Raquin est la nièce de Mme Raquin, abandonnée par ses parents, venant d’Algérie, elle a grandi avec son cousin maladif, chétif, sans envergure ni réelle intelligence, Camille. Sur demande de sa tante, une fois devenue adulte, elle épouse Camille.
Les deux ont une vie morne. La petite famille déménage à Paris, Camille travaille pour les chemins de fer, dans un emploi de bureau quelconque et les deux femmes tiennent un petit commerce.
Petit à petit, une société se réunit tous les jeudi pour jouer aux dominos, quelques collègues et amis de Camille. Puis arrive Laurent, un jeune homme grand, fort, puissant. Thérèse et lui se plaisent mutuellement. Arrive l’adultère, puis le besoin de se débarrasser d’un mari gênant. Mais à peine est-ce fait que les amants ne peuvent retrouver la tranquillité et vont être pourchassé par le spectre mental du décédé. Ils vont tomber de mal en pis, assumant tous les vices, osant toutes les horreurs. Thérèse Raquin est un roman de monstruosité sur des humains qui n’ont d’humain que les pires vices. Le lecteur est pris à la gorge non pas devant les tourments de Thérèse et Laurent mais devant leur manque de considérations pour Mme Raquin ou pour toute forme de vie humaine.
Car Thérèse et Laurent ne sont, dans le fond, que des animaux.
Ce qui intéresse Zola ici est le côté mécanique. Il y a deux personnalités, l’une sanguine, bouillonnante, enfermée toute sa vie, prête à s’évader, qui est Thérèse, l’autre en désir de chaire, de puissance, de volupté maîtrisée, qui est Laurent. Les deux se retrouvent avant tout comme des corps physiques, comme un processus chimique.
Zola veut donc avant tout étudier les réactions physiques et morales de ces deux êtres, ceux-ci ayant l’avantage de n’avoir aucune subtilité, aucune réelle humanité, mais d’avoir en eux un côté bestial. C’est bien cela qui choque le lecteur : ce manque d’empathie, de remords vient fondamentalement du manque d’humanité.
Zola comprendra que pour ses futures œuvres, il doit aussi avoir des personnalités prévues pour ses objectifs, pour les étudier au mieux, mais que ces personnalités ne doivent pas être sous-humains, doivent garder plus de nuances. Ce qui manque à Zola c’est l’étude généalogique et sociale que seront les Rougon-Macquart.
Thérèse Raquin est un sommet de l’écriture. Plusieurs fois j’ai lu et relus des pages tellement c’était parfaitement écrit. Zola nous rappelle ici que la littérature est un art et qu’il est artiste et non pas un simple conteur d’histoires. C’est un délice des mots, une subtilité sans fin des phrases.
Pour autant, le récit n’est jamais oublié, on est pris à bras le corps, on a le besoin de tout lire rapidement tant le suspense nous appelle.
Bien sûr, un petit défaut, si je devais en trouver un est le déséquilibre. Le projet de Zola étant d’étudier avant tout le fonctionnement de l’esprit de Thérèse et Laurent, leur chute représente la moitié du livre, là où toute l’action ; l’éducation des enfants, l’arrivée à Paris, la vie de couple, les soirées du Jeudi, l’adultère, l’évolution de cette relation, le besoin du meurtre, le meurtre lui-même, l’annonce de la mort ; tient en la moitié du livre. Déjà à l’époque certaines critiques soulignaient que les choses allaient trop vites. Si on ne doit pas tout accepter des critiques de l’époque (qui accusent Zola d’être pornographe), on peut reconnaître que oui, il aurait été bon de prendre un peu plus de temps sur l’évolution des personnages dans un premier temps (on reproche aussi à Zola d’avoir fait immédiatement chuter ses personnages dans l’effroi juste après le meurtre, sur ce point je comprends bien mieux l’objectif du romancier).
Ce défaut, léger face aux presque 300 pages de délice, est superficiel à souhait.
Thérèse Raquin préfigure beaucoup de chose que Zola développera ensuite. Outre son analyse quasi-scientifique des réactions humaines, il s’intéressera bien entendu à toujours garder un style non pas austère, ni trop grandiloquent, mais avant tout humain : comprendre ce qu’il se passe dans un regard humain face aux choses. Sa volonté aussi d’humaniser le passage où est la boutique des Raquin montre également la volonté d’humaniser les objets. Madame Raquin préfigure aussi plusieurs personnages futurs, de pauvres mères épleurées et trahies par la vie.
Enfin on notera l’intérêt pour le sordide, la fusion d’Eros et Thanatos face aux cadavres, la volonté qu’a Zola à ne pas cacher à son lecteur l’horreur de la vie quotidienne où les adolescents vont étudier le corps nu des femmes à la morgue.
Zola ne cache rien, révèle tout, montre avec une subtilité incroyable un tableau qui annonce déjà, à ce moment de sa vie, le grand artiste en-devenir.
Créée
le 24 juin 2024
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