Thomas, l'Obscur ou Les métamorphoses du Négatif

Thomas, te souviens-tu de ta chevelure de flammes noires en 1941 ? Rien à voir avec ta coiffure gominée, laquée de Néant, dans ta « nouvelle version » 1950. De l’hybride monstrueux de Maldoror et de Giraudoux, tu deviens le fils spirituel d’Igitur, l’ÜberGeist. Belle métamorphose.
J’ai assisté à ton procès comme héros nihiliste, parangon de la métaphysique du vide, mystique négatif et j’en passe. Tu as eu raison de ne pas répondre – et comment le pourrais-tu, toi qui a fait de l’inexistence une manière d’être et de penser… N’importe, le texte est là, conjuguant l’élémental à l’abstrait, la philosophie à la métaphore, dans un cheminement tantôt anarchique tantôt fluide, selon.
Thomas, ton histoire dit-on est difficile à suivre. Moi j’ai lu cela avec passion, et j’ai été porté par cette mer de texte dans laquelle tu te baignes au début et dans laquelle tu conduis les hommes à la fin. Je sais qu’au début tu te voulais roman : mais étant miné d’oxymores, de lyrisme, de réflexion, cela ne pouvait pas tenir. Fort peu héros métaphysique ou prophète, tu vas à la plage, dans une auberge, tu lis un texte qui te lit, tu te ballades, tu rencontres une fille, qui meurt, etc. Pas ultra-rocambolesque, je l’avoue, qu’à cela ne tienne, mes yeux captent les pensées invisibles que tu distilles sans cesse, ô penseur radioactif. Ton apparition épurée dans la collection « L’Imaginaire » de Gallimard était donc à point nommé : tu appartiens bien à cette nuit étrange de l’imaginaire où littérature, poésie, philosophie, trouvent un espace commun.
Du coup, bien sûr, dans la nuit, on ne trouve pas aisément son chemin. Son chemin ! toi tu le traces, Thomas, tu vois Anne qui crève à côté de toi, proche d’un état d’extase mélancolique qu’on s’amuse à appeler amour, mais tu continues à réfléchir sur ton non-être.
Ah, Thomas, j’aime beaucoup ton humour d’antiphilosophe pince sans rire qui a tant crispé Sartre. Tu peux bien affirmer littéralement dans le texte : « Je pense, donc je ne suis pas », c’est une proposition amusante, et finalement, au-delà de ce que cela peut avoir de bouffon à la première lecture, on sent bien s’affirmer un réseau de réflexions qui viennent donner à cette assertion improbable une profondeur. Oui, quelque chose comme le négatif s’affirme réellement et tu arrives à cerner par l’imaginaire ce qu’est cette étrangeté de la pensée, nuit comme « sortie d’une blessure de la pensée qui ne se pensait plus, de la pensée prise ironiquement comme objet par quelque chose d’autre que la pensée.»
Des fois, comme d’autres, je me demande si Blanchot n’a pas théorisé l’entrée dans « l’espace littéraire » comme le lieu de la passivité et du danger de la fascination de l’image d’après toi. C’est bête, mais si humain.
Thomas, je relis souvent tes non-aventures, pour le plaisir de la phrase, comme chez Proust, je savoure tes métamorphoses, et je sens mon cœur (eh oui, j’en ai un, cher Thomas) se serrer à la mort d’Anne, à la lecture de vos rapports lointains, silencieux et impossibles.
Raphmaj
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les livres les plus souvent relus et Le récit poétique

Créée

le 10 mars 2013

Critique lue 2K fois

46 j'aime

20 commentaires

Raphmaj

Écrit par

Critique lue 2K fois

46
20

D'autres avis sur Thomas l'obscur

Thomas l'obscur
HammerKlavier
10

Critique de Thomas l'obscur par HammerKlavier

Tout comme dans son livre le "dernier homme" par lequel j'ai découvert Blanchot, le texte de Thomas est tourné vers l’intérieur de son personnage. Intérieur qui se reflète dans ce quoi le corps...

le 15 janv. 2015

5 j'aime

3

Du même critique

L'Obsolescence de l'homme
Raphmaj
8

Un livre revenant de 1956

L'encyclopédie des nuisances a republié ce livre de 1956, jamais publié en français. "L'encyclopédie des nuisances" a bien choisi un texte qui lui correspondait car pour sûr le texte se veut...

le 8 déc. 2013

34 j'aime

Poèmes saturniens
Raphmaj
8

Le Parnasse effondré

Verlaine, 22 ans, bombe le front immense d’orgueil et de folie pour de se hausser à la hauteur de Baudelaire. Il sera poète, et il sait déjà toutes les beautés à venir de sa poésie : les mètres...

le 2 avr. 2013

31 j'aime

4