Tintin, Spirou et d'autres combattants contre l'injustice (Ma vraie note 7,5/10)

Nombreux sont ceux s'imaginant que la bande-dessinée est puérile, infantile et ne mérite pas qu'on s'y penche une fois qu'on a atteint un certain âge.

Heureusement, Philippe Delisle démontre le contraire avec Tintin et Spirou contre les négriers prouvant qu'on peut trouver du contenu plus adulte qu'il n'y paraît dans les bandes-dessinées d'hier et d'aujourd'hui.

En effet, si les deux journalistes et journaux portant leurs noms sont encore aujourd'hui objets de rivalité sur qui a toujours publié les meilleures oeuvres de la littérature illustrée, appelée aussi le 9ème art, les deux héros et les publications de nombreuses oeuvres autour d'eux n'en abordent pas moins des thèmes semblables ainsi que certaines dénonciations des injustices du passé et actuelles. Notamment celui de l'esclavage (que beaucoup disent être du passé alors que ce sujet est toujours d'actualité dans d'autres pays du monde [dommage, d'ailleurs, que ce livre n'en parle pas]). De plus, les journaux Tintin et Spirou ne sont pas les seuls concernés par ce sujet très grave étant donné que le journal Pilote fait également partie du lot de la critique de cette monstrueuse injustice.

On se retrouve ainsi avec trois parties distinctes montrant l'évolution de la dénonciation de l'esclavage dans la bande dessinée des années 40 à aujourd'hui.

1.L'anti-esclavagisme, attribut naturel des "héros classiques": L'époque où l'anti-esclavagisme servait de prétexte pour glorifier les héros défenseurs de la veuve et de l'orphelin.

2.Un discours simpliste, empreint de colonialisme: Le temps de la glorification du "Libérateur blanc" secourant des esclaves d'esclavagistes "étrangers" parce que seuls les blancs peuvent transmettre des valeurs morales exemplaires et que ce sont forcément les autres qui sont cruels.

3.Les années 1980-2010: renouvellement et diversification: Le moment où les premiers concernés peuvent enfin s'exprimer sur cette injustice avec une vraie dénonciation.

Ainsi, de nombreux albums précis de bandes-dessinées, ainsi que des récits uniques, publiés dans les trois journaux par divers auteurs illustrent le propos anti-esclavagisme qu'on raconte aux enfants. De plus, les récits sont analysés dans les moindres détails.

-Les Aventures de Tintin:Coke en stock-HERGE

-Spirou et Fantasio:Le gorille a bonne mine-FRANQUIN

-Les Fanvals:Les pirates de la brousse-AIDANS et DUVAL

-Le secret de Blueberry-CHARLIER et GIRAUD

-Tiger Joe:Le cimetière des éléphants-CHARLIER et HUBINON

-Une aventure de Barbe-Rouge:Le roi des sept mers+Défi au Roy-CHARLIER et HUBINON

-Marc Dacier:Les négriers du ciel-CHARLIER et PAAPE

-Les Aventures de Jean Valhardi:Jean Valhardi et Jacquot chez les êtres de la forêt-DELAPORTE et PAAPE

-Les aventures de Fred Morgan:La montagne d'Emeraude-SIRIUS

Il y a également des récits se voulant être plus proches d'une certaine réalité historique vis-à-vis du sujet loin des auteurs dénonçant l'esclavage de façon (volontairement?) maladroite et pas tellement réaliste.

-La case de l'Oncle Tom-AIDANS

-Surcouf: Roi des corsaires+Corsaire de France+Terreur des mers-CHARLIER et HUBINON

-Les belles histoires de l'Oncle Paul: Les mystères de l'Ogooué-JOLY et FORTON

-Les histoires vraies de l'Oncle Paul: Le mystère du brick fantôme+Révolte sur le négrier-JOLY et PAAPE-+Monsieur Vincent+Comment naquit la Marseillaise-JOLY et FORTON

-Stanley: Stanley+Stanley: À la recherche de l'homme perdu-JOLY et UBINON

-Monsieur Vincent: l'ami des pauvres-MITACQ et ATTANASIO

Encore mieux, pour bien approfondir son sujet, Delisle va jusqu'à parler de bandes-dessinées destinées aux adultes parlant de l'injustice de manière plus sérieuse (à quelques exceptions près) tout en montrant que le neuvième art n'est pas que pour le jeune public.

-Les passagers du vent: Le ponton+Le comptoir de Juda+L'heure du serpent+Le bois d'ébène+La petite fille Bois-Caïman-BOURGEON

-Atar Gull ou Le destin d'une esclave modèle-BRÜNO et NURY

-Carmen Lamour: Kongo-MALTAITE et DESBERG

-Les survivants de l'Atlantique: La route des esclaves+L'Île de la liberté-MITTON

-Les suites vénitiennes: La nuit de Gorée+Le griot blanc+L'Île sous le vent-WARNAUTS

Dommage que dans le lot des bandes-dessinées pour le jeune public, il n'y ait pas cet album-ci ayant pourtant été publié dans le journal Spirou.

-Johan et Pirlouit:La Source des Dieux-PEYO

En effet, bien qu'ils ne soient pas noirs, les Mollassons maltraités par le riche et tyrannique Gracauchon et ne pouvant pas se défendre à cause d'un sortilège d'une sorcière représenteraient un esclavagiste maltraitant ses esclaves jusqu'à épuisement. Les deux héros, eux, feraient partie de ces "héros classiques" anti-esclavagistes afin de renforcer leur côté défenseur de veuve et de l'orphelin. Chose qui pourrait paraître plus évidente vu que, bien que jamais confirmée, une rumeur circule comme quoi les Mollassons devaient, à la base, être noirs mais que l'éditeur de l'époque aurait rejeté l'idée.

De plus, certaines bandes-dessinées comme Yoko Tsuno-Tome 1: De la Terre à Vinéa: Le Trio de l'étrange+La Forge de Vulcain+Les 3 soleils de Vinéa de ROGER LELOUP (ne parlant pas d'esclaves d'une ethnie en particulier mais d'humanité réduite en esclavage) ou encore Les Tuniques bleues-Black Face de SALVERIUS et CAUVIN sont à peine évoquées alors qu'elles auraient pu avoir un traitement aussi approfondis que les autres bandes-dessinées explorées.

Mais revenons aux qualités.

Delisle ne va pas dans la simple analyse personnelle et ne se contente pas de faire des constatations. Il puise également dans les recherches d'inspiration des auteurs pour créer ces diverses oeuvres notamment des représentations d'idées de leurs temps avec des symboles littéraires, imagés ou encore religieux.

Plus direct encore, Delisle montre également les diverses différences entre fiction et réalité de manière franche sans pour autant aller dans la brutalité gratuite.

Ce qui signifie clairement que ce livre, malgré le fait qu'il parle de bandes-dessinées, ne doit pas être mis entre les mains de tout le monde. Plus particulièrement à cause de symboles adultes ayant inspirés les BDs avec lesquels nous avons grandi mais, également, pour qu'un trop jeune lectorat ne tombe pas sur les passages consacrées à des oeuvres plus adultes cherchant à aborder le sujet de l'esclavage de manière réaliste. Manière pouvant choquer les plus jeunes et les plus sensibles.

En dehors de son propos, Tintin et Spirou contre les négriers est une véritable incitation à la découverte de bandes-dessinées méconnues que vous pouvez faire découvrir à des enfants que vous connaissez ainsi que vous permettre de découvrir des oeuvres plus adultes pour vous-mêmes.

Bref, Tintin et Spirou contre les négriers est un livre très intéressant.

• Et maintenant, voici un message destiné aux Pros-Tintin et aux Pros-Spirou. Un livre s'appelant Tintin et Spirou contre les négriers est la preuve qu'il faut arrêter de les opposer et admettre qu'ils se complètent; aussi bien les héros eux-mêmes que les histoires d'autres protagonistes publiées dans leurs journaux respectifs (et que Pilote est également complémentaire aux journaux Tintin et Spirou avec leurs propres oeuvres). Sur ce, je vous laisse réfléchir.