Tobie des marais par Brina
L'univers littéraire de Sylvie Germain a une certaine résonance avec la religion judéo-chrétienne mais surtout avec la culture et la mystique juive. Tobie est un personnage de la bible. En préambule de chaque chapitre, on peut lire des extraits du "livre de Tobie" pour situer les personnages du roman dans leur contexte biblique, ce qui permet ainsi de découvrir la façon dont Sylvie Germain a exploité ce texte. Elle le réinvente, le modernise avec beaucoup de finesse et d'originalité.
L'histoire commence à la façon d'un thriller ésotérique. Sous un ciel d'orage, le petit Tobie vêtu d'un ciré jaune pédale aussi vite qu'il peut "pour aller au diable" comme Théodore son père le lui a ordonné. Pendant ce temps, Théodore hurle sa douleur, le cheval vient de ramener le corps de Anna sa femme, dont la tête a été tranchée. Un malheur semble s'être abattu sur cette famille.
La vieille Deborah, l'arrière grand-mère de Tobie, assiste à ce drame silencieusement. Cette femme de descendance juive polonaise se demande si la malédiction qui condamne à une mort violente et au malheur les membres de sa famille depuis des temps ancestraux ne va pas bientôt cesser.
Tobie a une enfance solitaire dans le décor sauvage des marais poitevin avec pour unique compagnon de jeu les livres de la bibliothèque familiale. Les seuls adultes qui l'entourent sont un père devenu fou de douleur et la vieille Deborah qui va bercer le petit garçon de ses souvenirs entremêlés de légendes de la culture juive d'Europe Centrale. Elle lui chante aussi des chansons en yiddish et le fait participer à d'étranges rituels religieux dont le sens lui échappe complètement. La synagogue est imaginée, les anges du shabbat sont invités chaque semaine mais Tobie ne les voit jamais, des pots de fleurs représentent les tombeaux des morts disparus dans la tourmente de la guerre et des camps de concentration. Tous ces simulacres de rituels, que le jeune garçon compare à des jeux pour grandes personnes, le rendent méditatif et tolérant.
Deborah sait que Tobie va mettre fin à cette malédiction, le temps des victimes est terminé. Les bourreaux n'ont plus qu'à se faire violence à eux-mêmes.
Il est temps pour Deborah de quitter ce monde, elle a cent ans. Son rôle sur la terre a pris fin. Un cycle se termine, un autre commence. Tobie saura prendre son destin en main.
Tobie va sortir du marais, quitter les terres de son enfance pour découvrir et donner fin à une autre malédiction, celle de Sarra à la beauté dérangeante, qui la rend victime de préjugés et de mauvaises croyances.
Ce roman mêle à la fois le passé religieux et historique d'une Europe Centrale persécutée par les guerres et l'antisémitisme. Cette barbarie qui fut la cause de véritables drames humains.
En se servant de la bible comme le fondement de son histoire, Sylvie Germain réussi à relier des temps mythiques à d'autres plus modernes. On peut ainsi constater que c'est la même barbarie qui agite les hommes.