Si je vous dis que c'est le récit des voyages d'un backpacker, cette approche ne vous fera pas nécessairement rêver. Pourtant c'est une façon objective de résumer "Touriste", excellent roman qui s'avale en une bouchée tellement les anecdotes sont drôles et savoureuses (désolée pour le poncif, c'était pour filer ma métaphore). Quand je dis "drôle" je ne veux pas dire que l'on sourit vaguement pour un trait d'esprit, non non, on rit vraiment, à gorge déployée si vous voulez, on se tient les côtes, on se fend la poire, on se prend une barre, bref on se marre bien.
Le livre commence par la présentation de la passion de l'auteur pour les voyages et de son défi personnel, utopique et obsessionnel : aller dans chaque pays du monde. Chaque chapitre relate ensuite ses souvenirs, ses impressions et des anecdotes vécues qui révèlent beaucoup de la culture du pays visité, tout cela très bien écrit, avec un style direct et "parlé" (comparaison abusive : son écriture m'a parfois fait penser à celle de Frédéric Beigbeder), beaucoup de finesse, d'esprit d'observation, d'auto-dérision, de références et surtout d'humour.
J'ai particulièrement ri avec l'épisode de Djerba : séjournant contre son gré au Club Med pour le compte d'un magazine, il se trouve pris au piège par un groupe de vacanciers en short qui veulent à tout prix qu'il vienne danser sur un "Vas-y Frankie c'est bon" à fond les ballons, alors qu'il pensait trouver une échappatoire en lisant "Crimes et châtiments" au bord de la piscine.
Son constat d'être moins intelligent qu'un singe quand il se fait voler ses biscuits par une bande de primates en venant d'arriver en Inde est également excellent et je ne résiste pas à la tentation de vous copier cet extrait :
"(...) Un temple domine l"ensemble au sommet d'une colline – toujours prendre de la hauteur. Je grimpe du pas paisible du promeneur pimpant, le regard perdu sur les reliefs du Rajasthan. Arrivé en haut, le m'assieds sur les marches de l'édifice pour profiter du paysage quand :
JE ME FAIS SAUVAGEMENT ATTAQUER PAR UNE HORDE DE SINGES EN FURIE.
L'erreur : j'ouvre le sac plastiques contenant mon goûter. Les petits salopards connaissent le bruit par cœur. Plastique = manger. En moins de trois secondes, quatre singes s'approchent de moi, agiles et véloces, suivant une tactique d'encerclement éprouvée par des milliers d'années d'évolution au contact des touristes. Pas des ouistitis. Des gros singes. Un bon mètre, tout en attitude d'intimidation.
Je me lève pour les impressionner de ma stature, je suis plus grand qu'eux.
Ils ne sont pas impressionnés.
J'agite les bras pour les impressionner de mon envergure d'Homo sapiens.
Ils ne sont pas du tout impressionnés.
En outre, je n'ai pas eu la présence d'esprit que je tiens, au bout d'un de ces bras, l'objet de leur convoitise. Le plus hardi, d'un coup de patte fulgurant, subtilise mes biscuits et s'enfuit à la vitesse du singe.
Je suis Stupéfaction.
Je suis Colère et Frustration.
Je suis Vengeance et Humiliation.
Franchement. Je me rêve Indiana Jones et je ne suis même pas capable de défendre mon bien contre des mammifères de bas étage. Je suis très vexé d'être moins malin qu'un singe. Les truands dévorent mes biscuits d'un œil narquois, à cinq mètres de moi. Penser à faire une donation à un laboratoire pharmaceutique pratiquant des expérimentations cruelles sur les singes.(...)"
Entre l'Inde, la Colombie, la Chine, Madagascar, le Mozambique, l'Israël, l'Angleterre ou Tahiti, le roman est rempli de petites histoires comme celles-ci, très variées, parfois choquantes, parfois très belles, nous laissant rêveur ou pensif.
Avec ses réflexions sérieuses mais jamais dénuées d'humour sur le tourisme, la globalisation, la misère, l'image de l'occidental à l'étranger et l'importance de l'instant présent, Julien Blanc-Gras nous donne à lire un roman intelligent et divertissant, à mettre rapidement entre toutes les mains : aspirants baroudeurs, voyageurs pratiquants et même sédentaires convaincus.
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