Et bien ! Quelle claque !
J'avais lu ici où là que Tous à Zanzibar était un classique de la S-F, une œuvre phare et incontournable, de ces grands anciens dont la simple mention devrait encore aujourd'hui nous inspirer le respect.
Un peu méfiant quand même, j'ai longtemps retardé la lecture de ce roman, craignant que son contenu soit quelque peu défraîchi par le temps. Le roman date en effet de 1968, et je craignais qu'il soit un peu trop inscrit dans son époque pour me parler.
Et bien pas du tout ! Et c'est même tout le contraire ! Il y a bien quelques idées qui fleurent bon les préoccupations qui agitaient le monde de la S-F en ce temps là (le problème de la surpopulation et des minorités noires notamment), mais dans l'ensemble, le ton est d'une justesse quasi prophétique par moment !
Brunner a su décrypter le monde dans lequel il vit et en imaginer une postérité qui, si elle n'est pas la nôtre, s'en rapproche quand même sacrément par certains aspects.
Le type de narration est très étrange et un peu déstabilisant au départ. Il y a en fait quatre trames narratives distinctes.
Trois d'entre elles ne servent pas l'histoire principale directement, mais y apportent du relief. La première, dont les chapitres s'appellent "contexte", ne livre comme son nom l'indique qu'une toile de fonds, des informations brutes sous formes de définitions encyclopédiques, de compte-rendus de reportages...
La deuxième, "le monde en marche", livre des informations plus directes, sous formes de bouts de conversations, d'émissions télévisuelles, de spots, d'extraits de poèmes ou de chansons...
La troisième dont les titres de chapitres se nomment "jalons et portraits" s'attache plus particulièrement à quelques individus représentatifs de la société et que l'on retrouve de loin en loin. La plupart d'entre eux connaîtront une fin peu réjouissante, à l'image du monde envisagé par Brunner.
La quatrième trame (continuité), est en fait double puisqu'elle se partage entre deux "héros" : Donald et Norman qui sont au centre du roman. Ces deux personnages vont, chacun à leur manière transformer le monde.
Tout est très bien pensé dans ce livre, le monde est d'une cohérence vertigineuse, et si bien écrit, qu'on croirait presque qu'il est écrit d'après nature. Les aphorismes tirés du livres du sociologue Chad C. Mulligan par exemple sont si brillamment écrit, qu'on en vient à regretter de ne pas pouvoir se procurer son : "Lexique de la délinquescence"
Ce Chad Mulligan apparaît d'ailleurs comme l'un des autres protagonistes principaux et peut même être entrevu (mais ce n'est qu'une interprétation de ma part), comme la personnification de Brunner dans le roman. Il confesse à la fin trouver ce monde hideux, peuplé de cons, mais les aimer tous tout de même, comme un aveu honteux.
Un livre vertigineux, brillant, et qui malgré ses rides, n'a rien perdu de sa force. Un livre majeur.