Les histoires de Sir Pelham Greenville Wodehouse ont quelque chose de tout à fait fascinant : ce sont toujours les mêmes intrigues, toujours les mêmes personnages, toujours les mêmes enjeux. Et pourtant, l’ensemble est si habilement mené et si agréable qu’arrivé en fin d’ouvrage l'heureux lecteur n’a qu’une seule envie : passer très vite au livre suivant.


« Leave it to Psmith » est le deuxième "tome" situé dans l’univers de Blandings, charmante demeure ancestrale britannique dont le charme bucolique des jardins savamment entretenus n’a que peu d’égaux dans toute l’Angleterre. Ce château est peuplé de personnages truculents : le distrait et très myope Lord Emsworth, pair du royaume et père désabusé ; son rejeton, l’honorable Frederick Threepwood, passionné d’art cinématographique et de jolies femmes ; et son secrétaire, le glacial et efficace Rupert Baxter.


La quiétude de ce petit monde est bouleversée par le débarquement de l’inégalable Psmith (le "p" est muet, comme dans "pshrimp"), un jeune homme très grand et très mince dont la verve n’a d’égale que son goût pour le monologue ou son dédain pour le poisson. Il est à noter que Psmith fut inventé quelques années avant Blandings par Wodehouse, et que le personnage en rejoint l’univers pour cette histoire.


Il s’agit d’une affaire de cambriolage – au vu du titre, on s’en doute – qui possède des ramifications complexes et intéresse de nombreux personnages. Avec son aisance coutumière, Wodehouse se fait le roi de la coïncidence et du quiproquo qu’il manie avec une certaine jubilation. Le plus fort consiste à décrire un nombre conséquent de personnages et de s’intéresser aux liens qui unissent un individu A à un individu B. Vous en conviendrez, plus les protagonistes sont nombreux, plus le nombre de "relations" explose.
(Pour vous en convaincre, je vous propose une petite gymnastique mathématique : voyez un "lien" comme une poignée de main entre deux personnages. À quatre individus, il y a 6 poignées de main : AB, AC, AD, BC, BD, CD. Comptez à présent combien de "poignées de main" il peut y avoir si l’on implique une douzaine de personnes, et vous aurez une idée du travail effectué par Wodehouse !)


Toutes ces interactions entre les multiples protagonistes de l’histoire s’intègrent parfaitement au récit et lui donnent un rythme agréable et bien mené. Il paraît naturel pour tel ou tel personnage d’agir comme il le fait à un moment donné du récit, et les péripéties, nombreuses, s’enchaînent avec une logique implacable.


Les histoires de Psmith et des autres occupants de Blandings n’auraient cependant pas le même charme si elles n’étaient pas écrites avec le style génial de Wodehouse. Ses livres représentent ce que les perfides anglais font de mieux : une certaine idée de l’humour, pince-sans-rire et absurde, qui confère au livre un ton absolument délicieux. Si vous êtes un peu familiers avec l’anglais, je vous recommande la lecture des textes originaux de Wodehouse : la langue y est simple et élégante, et c’est un vrai plaisir que d’y découvrir son style, très léger et gentiment ironique. Si vous avez encore un peu de mal avec la langue de Shakespeare… je vous encourage à tenter l’expérience quand même, car vous ne pourrez que progresser au contact du maître, et l'ouvrage est loin d'exiger un niveau de bilingue pour s'apprécier.


« Leave it to Psmith » est un concentré de vitalité et de bonne humeur mêlé d’une histoire policière aux multiples rebondissements. C’est un livre qui se dévore avec entrain, où l’on découvre avec ravissement les tribulations de l’un des personnages les plus géniaux qui aient jamais été inventés (et où l’on plaint les maux de tête prévisibles de tous ses interlocuteurs !).


Il est d’autant plus triste de constater les pratiques douteuses d’Amazon, qui propose le livre en version électronique à la vente pour un prix supérieur à son homologue papier… Chose aussi incompréhensible qu’impardonnable (d’autant que l’ouvrage a presque cent ans).

Aramis
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le 7 août 2016

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