Le meurtre d'Ilan Halimi commis par ceux que les médias ont appelé "le gang des barbares" fit et continue à faire l'objet de nombreux reportages de toutes formes, d'articles longs et renseignés du point de vue événementiel. Qu'apporte alors, sur un sujet rebattu, la participation de Morgan Sportès, quelques six années après la découverte par la société de ce meurtre crapuleux ? L'approche de Sportès a pour intérêt d'essayer de reconstituer la logique de cet événement. Dénonçant lui-même cette appellation de "gang des barbares" qui repousse ces individus hors de la sphère de nos pareils, de notre humanité (car les barbares ce sont avant tout, étymologiquement, les étrangers, "ceux qui ne sont pas comme nous"), il tâche de reconstituer les forces et les logiques qui ont poussé ces hommes et ces femmes à un tel acte de barbarie.

Bien que les noms aient été changés pour les besoins de la fiction, la documentation est fine et précise, soutenue par une correspondance avec différentes coupables de cette affaire. Morgan Sportès s'efforce de comprendre les sujets de son étude et d'expliquer l'enchaînement des faits afin de remettre cet événement au coeur du fonctionnement de la société. Afin de faire comprendre que cet acte est celui d'une société complètement dévastée par "la société du spectacle", ainsi que l'appelle Guy Debord, cité à de multiples reprises en exergue des chapitres par l'auteur, et par ailleurs ami de longue date de Morgan Sportès.

Voilà ce qui semble être l'intérêt principal de ce roman, au-delà de la curiosité pour le fait divers : il propose de comprendre cet événement comme les ravages de la société du spectacle qui altère profondément nos représentations du monde, dévastatrice sur des esprits privés de tout accès à la culture, qui ne voient le monde que par le prisme d'une image glamour et fantasmée. Un exemple relaté par Sportès est probant : un des actants de l'enlèvement a acheté un journal pour le faire figurer sur une photo de la victime (afin, comme ils l'ont appris dans les séries américaines, de dater la prise de la photographie). Il raconta plus tard à la police que c'était la première fois qu'il acheta un journal.

Il convient de rajouter à cet aspect le fait que l'auteur s'applique à raconter le calvaire de la victime avec beaucoup de respect et de pudeur, n'ayant pas à un seul instant la prétention d'imaginer ce qu'il a pu ressentir ou penser. Il évite ainsi l'écueil du scandaleux, du scabreux qui a souvent été le choix des médias pour raconter cet assassinat, et se contente, avec beaucoup d'humilité, d'essayer de mettre en perspective les évènements et de les sortir de l'étroitesse du fait divers.

En somme, ce livre est à la croisée des genres. Il se présente comme un roman, s'avère être un reportage et, en filigrane, se lit comme un essai ou plus précisément, une mise à l'épreuve de positions philosophiques. Il est soutenu par une écriture neutre, froide, implacable mais toujours juste et appropriée.
Lanah
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le 2 janv. 2012

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