« Traduit de la nuit » comme d'autre écrivent « Traduit du silence » (Joë Bousquet). Mais alors, quelle nuit ? Quelle nuit ?
Ah que brille ce mystère nocturne ! car cette nuit n'est pas celle des mystiques, et pas plus la nuit ouverte ni celle chantée des « Hymnes à la nuit », pas plus celle de Rilke, celle des élégies, des romantiques. Si ce n'est la nuit, ni même « l'autre nuit » de Blanchot – cette nuit qui se fait « apparition du "tout a disparu" » – qu'est-ce donc ?
Ah, peut-être n'est-ce que les ombres de la traduction.
Oui, l'important est peut-être le « Traduit de » car Rabearivelo (1901?-1937) est poète malgache qui a vécu l'époque de l'acculturation violente à la langue française et a subi de l'attraction mêlée de rébellion vis à vis de cette langue.
« Traduit de la nuit » s'inaugure avec quatre vers de Supervielle, influence qui persiste dans le recueil avec la poésie occidentale (Withman, Jammes, Virgile sont aussi nommés ; ainsi que Tagore). On retrouve de Supervielle le rapport au monde, fait de simplicité et d'un intérêt à l'image flirtant avec le surréalisme sans basculer jamais dans le rapprochement de réalités contraires. A vrai dire, j'ai même senti un peu de Saint John Perse dans certains accents (« lactogène lunaire » : ça pourrait être aussi du Laforgue bizarre). C'est que Rabearivelo a su parler en langues, passant en français la culture de Madagascar, et incorporant les concepts et la poésie française à sa poésie. Le ravissement de la présence au monde, son désespoir, voilà de quoi sont faits ces poèmes.
Allez, « butinez-y, abeilles de mes pensées » : suivons son conseil.

L'édition chez La différence contient aussi « Les Vieilles chansons des pays d'Imerina », traduction, transformation, métamorphose des hain-teny, poèmes populaires de Madagascar. C'est pour moi une vraie révélation encore au-delà du « Traduit de la nuit ». Ces courts poèmes en prose sont comme des koan luxuriants car le sens se dérobe sous l'image et interroge dans l'insolite la beauté éphémère du monde et de la pensée.

«  - Abaissez-vous, abaissez-vous, ô collines, là-bas, à l'ouest, que je puisse voir de loin ces perles de corail enfilées, ces perles d'étain fondues ! Est-il fondu, ce que vous aviez au cœur, Madame, pour que se fonde ce que j'ai au ventre ? Ce lambe mien-ci, je ne permettrai jamais à l'eau de l'emporter ; je ne le battrai jamais contre la pierre.
Qui refuserait de mourir ? Seuls ceux qui n'ont pas d'amour sont vaincus. »

Les « Presque Songe » sont une autre facette, un autre recueil du poète qui, après quelques-uns de ces poèmes redoutables, finit mystérieusement par se suicider, après un dernier refus à trouver un emploi dans l'administration française. Imbécile.
Ah, c'est qu'il faut mourir en avalant la clé.
C'est fait pour lui.
Raphmaj
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le 30 janv. 2014

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