"Il n' y a que la vie où l'on s'émerveille qui vaut la peine d'être vécue"
Georges Navel a traversé le XXè siècle la conscience aiguisée et les sens en alerte.
Fils de manœuvre, allergique à l'enfermement des salles de classe, il aura pris lui aussi dès le plus jeune âge le chemin de l'usine. Mais son âme nourrie aux livres découverts grâce à la bibliothèque du quartier, avide de sens et de liberté, ne cessera de lui faire arpenter de nouveaux chemins. Et parce qu'il faut bien (sur)vivre, la crise des années 30 le verra bourlingué de champs en chantiers, d'ateliers en jardins, tour à tour outilleur, cueilleur, manœuvre, maçon, terrassier ou jardinier.
Avec une plume magnifique, Georges Navel nous dresse les peintures du monde industriel et agricole de l'entre deux guerres, sans amertume, sans misérabilisme, avec beaucoup de poésie et de philosophie.
"Pourquoi vient-on à la récolte ? Ça paie peu aux cerises. Fidélité à la saison. C'est un rendez-vous avec d'anciens bonheurs. Une odeur de foin, la lumière de mai et des songeries. [...] On vient compter ses années là pour que l'année compte, pour avoir vécu un printemps de plus, s'être senti sur terre au retour de mai. C'est une fête que le saisonnier se donne. Il recueille le printemps un bon mois. [...]
L'hiver, dans de gros souliers, on a promené un cadavre, un homme blanc qui marche sans plaisir. Aux cerises, on redevient nègre, gitano, les reins heureux en marchant. Pas seulement les reins, chaque fibre, les muscles se jouent soie sur soie. Il y avait longtemps qu'on ne respirait plus ou qu'on respirait neutre comme en dormant. De nouveau on respire comme avec un nez de chien. On ne respire pas, on boit l'air par petits coups et grandes gorgées avec les narines. Les moments sont nombreux où l'on se sent vivant, réveillé au monde."
Éveillé au monde, est une bonne manière de décrire Georges Navel. Condamné à passer sa vie à la gagner il aura choisi d'en prendre son parti. Non pas par résignation, mais avec conviction. La conviction que l'Homme, même le plus misérable, peut choisir de ne pas être victime. Et c'est une vrai leçon de vie qu'il nous dispense ainsi au fil des pages.
"J'essayais de vivre complètement réveillé, toujours conscient du moment, de la chose, du geste. Il n'y a que l'enfance qui vit dans la découverte. L'adulte vit endormi dans ses habitudes. C'est toujours beau d'apprendre la vie, et tout à coup j'apprenais à l'arbre vert du contact direct. Il n' y a que la vie où l'on s'émerveille qui vaut la peine d'être vécue."
"Je voulais aimer la réalité, n'y pas couper. Ma réalité, c'était le travail. J'acceptais. [...] Celui qui avait dit : " Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front", n'avait pas tout dit. On pouvait relever le défi et faire du travail une joie."
A lire absolument !