Traversée est un livre court (152 pages) mais ô combien dense ! Tout y est gigantesque et réduit, silence et vacarme, paroles intérieures et regards partagés. Avec Francis Tabouret, on part au large, on quitte le port de nos connaissances établies et, avec les 12 chevaux, les 8 taureaux et les 15 moutons qu’il convoie, on suit l’auteur dans son métier premier qui est steward équin, livreur, soigneur de bêtes qu’il accompagne dans les soutes des avions, partout dans le monde et à dix mille mètres d’altitude ou, comme cette fois-ci, sur un cargo qui rejoint les Antilles.
Francis Tabouret nous permet de rentrée avec lui dans le minuscule enclos, fait de conteneurs, au cœur d’un bateau d’où il faut lever les yeux pour imaginer un bout de ciel. C’est dans cette curieuse cour de ferme qu’il assure tous les jours les soins à ses compagnons de voyage. Mais il nous entraîne aussi dans l’immensité de ce porte-conteneurs. Le gigantisme à l’état pur et la miniaturisation des espaces dévolus aux travailleurs de cette cité ! On y entend le bruit de la salle des machines, le silence du carré où les repas se prennent. On y croise bien des langues et les coutumes des marins de nationalités différentes. Et quand les regards sont portés sur le même horizon depuis une passerelle ou un poste de commande, on ne sait trop s’il y a connivence et partage et si c’est d’espérance ou de fatigue.
Le récit est à la fois centré sur le soin des animaux dans des conditions qu’on ne peut imaginer, mais aussi sur le quotidien des matelots qui travaillent dans des conditions ahurissantes, bien loin des méditations poétiques que nous pouvons formuler lorsque, d’un bord de mer, nous voyons partir des bateaux vers le large. Et c’est pourtant dans cet enfer que Francis Tabouret trouve le calme et la sérénité pour écrire. Traversée est un carnet de voyage, un carnet comme je n’en avais pas encore lu. Mystérieux, troublant, empli d’enseignements et de réflexions philosophiques transposables dans à terre.
Tous les amoureux de la mer et les rêveurs aux voyages devraient aimer. Tous les amis des animaux curieux de connaître comment ils sont convoyés aussi. Une belle très belle découverte.
Merci à Madame Lit dont le défi littéraire proposait ce mois de septembre de découvrir un Prix Senghor. Francis Tabouret a reçu ce prix Senghor du premier roman francophone et francophile en 2018 avec cet excellent récit.